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21 août 1933. Pute, mythomane et voleuse, à 18 ans, Violette Nozière empoisonne ses parents

vendredi 21 août 2015

Sa peine allégée par Pétain, son exil levé par de Gaulle, l’empoisonneuse réussit même à décrocher sa réhabilitation. Et à faire cinq enfants !
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 21 août 1933, la famille Nozière se prépare à se coucher. L’adorable Violette, 18 ans, sert à ses parents et à elle-même un médicament censé soigner une syphilis familiale. Une tasse pour maman, une tasse pour papa. En fait, dans la tasse, la jeune fille a glissé une dose de barbiturique suffisante pour envoyer un cheval au paradis. C’est qu’elle en a marre, de ses vieux ! Qu’ils crèvent ! C’est sa deuxième tentative d’assassinat. Lors de la première, en mars, elle avait raté son coup à cause d’une dose trop faible. Cette fois, elle a mis le paquet. À chacun son petit sachet. Le père avale le sien sans se méfier, la mère seulement la moitié, et Violette s’enfile le sien, identique aux deux autres, mais marqué d’une petite croix, car il ne contient qu’un simple dépuratif.

La jeune fille attend patiemment que la drogue fasse son effet. Lequel de papounet ou de mamounette va tomber le premier ? C’est son père, Baptiste Nozière. Normal, vu la dose qu’il a prise, le bougre. Il s’effondre sur le lit de sa fille. Ha, ha, ha ! Bientôt, c’est au tour de la mère, boum ! Waouh ! Un plongeon encore plus chouette que celui de papa, car en prime maman se cogne violemment la tête sur le montant du lit. Quel magnifique spectacle ! Plus marrant encore que Les Ch’tis à Ibiza... Enfin, la jeune fille va pouvoir continuer sa vie de débauche grâce aux économies de ses parents, sans avoir à s’en cacher, depuis le temps qu’elle en rêve. Avant de quitter l’appartement, Violette ratisse leurs poches, met la main sur la paie de son paternel et s’enfuit, laissant ses parents agoniser.

Elle pose nue pour des magazines, se prostitue...

Comment de simples gens ont-ils pu enfanter un tel monstre ? Après son certificat d’études, la petite fille sage et bonne élève se mue en une vraie peste. Elle est virée de plusieurs écoles, car Violette est devenue "paresseuse, sournoise, hypocrite et dévergondée. Un exemple déplorable pour ses camarades", note un professeur. Elle commence à mentir à longueur de temps, à avoir de très mauvaises fréquentations comme cette Madeleine Debize, dite Maddy. Alexia Laroche-Joubert envisage de la recruter pour sa prochaine téléréalité débile... Les deux jeunes filles délurées n’ont pas froid aux yeux. Elles paraissent davantage que leur âge, se dévergondent, flirtent avec un tas de garçons, sortent sans arrêt. Finie, la Violette jeune fille de bonne famille, place à la débauche !

Lors de son procès, Violette justifiera son comportement en accusant son père de la violer depuis qu’elle a 12 ans. Violette commence à piquer de l’argent dans le porte-monnaie de sa mère, à voler dans les magasins... Mais pour se payer de belles toilettes, des taxis, des chambres d’hôtel, bientôt ses petits larcins ne suffisent plus. Elle pose nue pour des magazines et va même jusqu’à se prostituer. Call-girl de luxe, elle ne choisit que des clients fortunés. Sauf qu’à force de coucher avec tout ce qui bouge, elle attrape la syphilis. Si ses parents apprennent ça, ils vont être furax. Dès lors, Violette leur cache la vérité tout en se faisant suivre par le docteur Déron à l’hôpital Xavier-Bichat. Ses bobards se multiplient, le couple Nozière ne se doute de rien, et pendant ce temps leur gamine mène une vie dissolue, écumant les bistrots du Quartier latin remplis d’une clientèle aisée. Elle a honte de son milieu modeste et se présente d’ailleurs comme la fille d’un grand ingénieur, alors que son père n’est qu’un simple chauffeur aux chemins de fer !

Fausse syphilis héréditaire

Début mars 1933, la syphilis de Violette s’aggrave, elle ne pourra bientôt plus la cacher, il va falloir passer aux aveux. Mais la maligne a plus d’un tour dans son sac, elle s’arrange pour obtenir de faux certificats médicaux auprès du Dr Déron, des plus compréhensif, voire naïf, attestant de sa virginité de manière à faire passer sa maladie pour une hérédosyphilis, donc transmise par ses parents eux-mêmes ! Violette, pauvre victime. Le médecin convoque son père le 19 mars pour l’informer de la maladie "héréditaire" de sa fille, et par conséquent de la sienne et de celle de son épouse ; ils ont tous le "mal du siècle". Le soir même, une dispute éclate dans le cocon familial, les parents s’engueulent, s’accusent mutuellement, puis s’en prennent à Violette. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il faut vraiment qu’elle les fasse passer de vie à trépas avant que le piège ne se referme. Le 23 mars, elle se procure un puissant barbiturique et le fait avaler à ses parents comme étant un traitement que ce cher Dr Déron leur a prescrit à tous les trois pour soigner leur syphilis "familiale". Ils gobent tout ! C’est la première tentative d’empoisonnement de Violette. Elle allume un incendie, persuadée que ses parents sont déjà à moitié morts. Elle court aussitôt frapper à la porte des Mayeul, leurs voisins, pour crier "au feu !" afin qu’on appelle les pompiers et les implore de sauver ses parents chéris. Sacrée comédienne.

Violette a la rage au ventre quand elle voit son père se réveiller et sortir de l’appartement. Raté ! Violette a utilisé une dose bien trop faible ! Sa mère, semi-comateuse, est emmenée à l’hôpital où elle se réveille finalement. Doublement raté ! Tout le monde pense alors, y compris les toubibs, que ce sont les fumées de l’incendie qui ont provoqué le malaise du couple Nozière, une simple intoxication. Violette n’est pas soupçonnée une seule seconde, elle est même félicitée par ses parents de les avoir sauvés.

Elle reprend sa double vie, une nouvelle tentative serait trop risquée tout de suite, elle patiente. En juin, elle rencontre Jean Dabin, étudiant en droit endetté et pique-assiette trois étoiles. Comme avec tous, elle se fait passer pour une friquée. Bingo pour Jean, il vit désormais aux crochets de sa nouvelle conquête, et ce sont de 50 à 100 francs qu’il lui réclame tous les jours. Il faut vraiment qu’elle pense à buter ses parents avant qu’ils ne s’aperçoivent de son manège, les passes ne suffisent plus pour entretenir son beau mâle. Le 21 août 1933, au logis familial, Germaine et Baptiste Nozière sont dépités, ils viennent de s’apercevoir qu’il leur manque de l’argent. Immédiatement, ils soupçonnent leur fille et se mettent à fouiller ses affaires. Ils tombent sur une lettre de ce Jean Dabin, tout leur paraît clair. Ils sont furieux, non seulement Violette leur pique du fric, mais, en plus, elle n’arrivera pas vierge au mariage. C’est un scandale ! Ils attendent de pied ferme que leur satanée progéniture rentre, bien décidés pour une fois à lui passer un savon.

"Le monstre en jupons"

Dès que Violette passe la porte, les foudres de son père s’abattent sur elle, une violente dispute éclate. Comme tout mythomane qui se respecte, Violette s’en tire avec quelques arguments délirants, et les vieux tombent dans le panneau. Le climat s’apaise, le dîner se déroule sans problème. Le moment est idéal pour sortir trois petits sachets du fameux "traitement" contre leur syphilis du Dr Déron, exactement comme la première fois. Les voilà tous les trois à prendre leur "médicament".

Baptiste Nozière s’effondre, suivi de Germaine. Leur garce de fille prend l’argent qu’elle trouve et déguerpit. Elle ne revient que le surlendemain dans la nuit. Elle trouve son père mort - génial -, la mère respire encore, encore raté. Décidément, elle est meilleure au tapin qu’à l’empoisonnement. Elle ouvre les vannes de gaz et court chercher les voisins, les Mayeul, encore eux, pour faire croire que ses parents se sont suicidés au gaz. Les pompiers et la police débarquent. Germaine est emmenée d’urgence à l’hôpital Saint-Antoine. Une enquête est ouverte. Deux choses interpellent les policiers. D’abord, contrairement à tous les autres jours, aucune dépense n’est inscrite dans le carnet de comptes tenu par Mme Nozière à la date du 22 août. Bizarre. De plus, après relevé des compteurs de gaz et comparaison avec le relevé précédent, ils remarquent que la dose de gaz échappée avec laquelle le couple Nozière s’est prétendument suicidé est bien trop faible pour tuer même une mouche. La gamine doit mentir. Impossible que le gaz ait tué monsieur et mis madame dans cet état. Le 23 août, aux alentours de 15 heures, Violette est emmenée au chevet de sa mère à l’hôpital pour une confrontation organisée par le commissaire Gueudet, il veut en avoir le coeur net. Il demande à la jeune fille de patienter dans une pièce jouxtant la chambre de la mère, car il préfère questionner d’abord seul la malade. Germaine Nozière, qui sort juste du coma, se révèle bien incapable de répondre aux questions. Tant pis, ce sera pour plus tard. Il retourne chercher Violette, mais celle-ci a disparu ! Sa fuite est un aveu incontestable.

Le lendemain, le 24, Germaine peut enfin parler et raconte la soirée du 21 avec ces sachets de poudre. Le corps du père est autopsié, l’empoisonnement aux somnifères est confirmé. Violette est inculpée d’homicide volontaire et se retrouve avec un mandat d’amener aux fesses. La presse s’empare de l’affaire qui fait d’emblée la une de tous les journaux. "Le monstre en jupons traqué par la police." Le 28 enfin, elle se fait pincer par la brigade criminelle dans le 7e arrondissement. Pendant l’interrogatoire, elle avoue avoir voulu vraiment tuer son père, mais pas sa mère. Son mobile, ou plutôt son excuse : M. Nozière abusait de Violette depuis ses 12 ans. Bah voyons, c’est encore elle la victime. Pauvre chérie.

De la peine capitale à un casier vierge

Rapidement, Violette devient la muse des journalistes, des écrivains, des chansonniers, des peintres, jusque de l’autre côté de l’Atlantique. Tous se gargarisent de cette histoire d’empoisonnement sordide de la rue de Madagascar. La vie des Nozière est épluchée, rendue publique, du réel au sensationnel, à en faire pâlir Gala et Voici... Violette Nozière fait vendre, d’autant qu’elle reçoit les mêmes honneurs que les plus grands criminels, car un commissaire "people" est chargé du dossier. Le fameux Marcel Guillaume, connu grâce aux affaires de la bande à Bonnot, de Landru et de l’assassinat du président Doumer. Flatteur pour la jeunette.

Le pays se divise vite en deux camps, les "pour" et les "contre" Violette. La gauche fait d’elle un symbole de la lutte contre la société et ses dérives. La droite la fustige, décidée à corriger cette jeunesse d’après-guerre dévoyée. Quoi qu’il en soit, l’affaire Nozière est sur toutes les lèvres. Au procès, l’année suivante, on se bouscule. Germaine Nozière, qui au départ n’acceptait pas les excuses de sa fille, allant jusqu’à lui suggérer carrément de se suicider et se portant même partie civile contre elle, implore finalement la clémence des juges. Malgré tout, le 12 octobre 1934, Violette Nozière est condamnée à la peine de mort pour parricide et empoisonnement. Le mobile retenu est son désir de mettre la main sur les 165 000 francs d’économies de ses parents pour continuer à entretenir son amant.

Violette est graciée par le président Albert Lebrun le 24 décembre de la même année, sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Un sacré cadeau de Noël. En prison, elle plonge dans la religion, devenant bientôt l’opposé de ce qu’elle était, c’est-à-dire irréprochable. Une conversion encore plus spectaculaire que celle de Frigide Barjot... En octobre 1937, elle retire les accusations portées contre son père dans une lettre adressée à sa mère. Seconde grâce présidentielle pour son comportement exemplaire, sa peine est réduite par le maréchal Pétain à douze ans de travaux forcés à compter de sa date d’incarcération. Le 29 août 1945, elle retrouve la liberté. Mieux, la même année, de Gaulle lève l’interdiction de séjour de vingt ans sur le territoire. Violette, 30 ans, revient vivre à Paris. Elle se marie l’année suivante, fait cinq enfants et s’occupe même à merveille de sa mère. Et, fait exceptionnel, elle est réhabilitée le 13 mars 1963. Du jamais-vu ! Elle est la première personne condamnée à la peine capitale qui retrouve le plein exercice de ses droits civiques et un casier vierge. Elle n’en profitera pas, elle se bat déjà contre un cancer qui a raison d’elle trois ans plus tard. Ce n’est qu’après sa mort que ses enfants apprendront l’histoire de leur mère. Elle est devenue l’une des plus célèbres empoisonneuses de l’histoire, dont la vie sera immortalisée à l’écran par Isabelle Huppert dans le film de Claude Chabrol Violette Nozière, en 1978.


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