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Surprise, surprise : tactique adroite de Martelly, victoire morale de Narcisse, poids inattendu de Célestin

vendredi 27 novembre 2015

La politique en Haïti réserve souvent des surprises. Rarement là où on les attend, où on les espère. La surprise de ce deuxième semestre de 2015 est le choix tactique gagnant de Michel Martelly. Celui que plusieurs s’entêtent à voir comme un simple chanteur, celui dont certains ne veulent retenir que l’image de son slip un jour où il avait baissé son froc pour les amuser, prouve, encore une fois, qu’il n’avait pas volé l’élection de 2010. Quoi qu’on dise. Martelly l’avait remportée en mettant de son côté toutes les chances et toutes les forces. Martelly veut récidiver l’exploit en 2015, si l’opposition lui en donne l’occasion. Et pour y arriver, il marche en stratège, à pas de chat, vers son but ultime, se perpétuer au pouvoir, sans y être. Pour y parvenir, Martelly a laissé les gens de bien monter leur CEP. Tous ceux qui connaissent bien ce pays savent qu’il y a une frontière très mince entre malfrat et saint en Haïti. Il suffit de trouver la faille. Martelly, après maints échecs, a fini par se laisser convaincre que rien n’est moins cher que de composer avec un CEP après sa composition, surtout si elle se fait contre vous. Martelly a aussi, très tôt, sacrifié tout son entourage : sa femme, son Laurent Lamothe, tous les candidats à la présidence estampillés Rose et Tèt Kale ont été exclus de la course sans provoquer de réaction de sa part. C’est très rare de voir un tel renoncement chez un politique en Haïti. Martelly a été stoïque dans cette affaire. Il a payé lourd pour asseoir la crédibilité du processus électoral dans ses premiers mois. Le président de la République a encore surpris quand il a fait le choix contre nature, pensent de nombreux observateurs, de Jovenel Moïse pour représenter son camp. Martelly, grand connaisseur des hommes et femmes de son entourage, s’était-il rendu compte qu’il n’avait pas autour de lui des lumières ni des parangons de vertu ? Au lieu d’aller vers la défaite avec un ami, il a préféré, joueur qu’il est, parier sur du neuf quand il s’est rendu compte que ceux qui l’entouraient ne faisaient pas le poids, n’avaient pas le bon parcours, pas même un exemple de réussite à afficher. C’est brillant. Jusqu’à aujourd’hui, avec un Evans Paul, qui lui sert du plus parfait des paratonnerres, avec une police trop contente d’avoir des armes neuves et l’ordre de se mettre au service des puissants, avec des diplomates qui sont soit sous le charme des Tèt Kale, soit désolés des performances des opposants, Martelly se dirige, serein, vers le 7 février. Il y a cependant un hic et il est de taille, le Conseil électoral n’est pas à la hauteur de la tâche qui lui est confiée. Les bavures, les cassures, les irrégularités et les fraudes fragilisent la victoire de X ou de Y, le 27 décembre. Le doute alimente l’incertitude et personne ne peut dire à quoi serviront les élections si nous les poursuivons avec le même personnel, le même code de conduite, le même manque de sens moral et d’éthique. Martelly saura-t-il préserver la présidence de 2016 d’une souillure originelle ? Et tombe la deuxième surprise. Qui aurait parié un sou que le parti Fanmi Lavalas avec maryse Narcisse allait prendre le chemin du contentieux électoral, allait se soumettre au jugement de ceux qu’il accuse de fraude pour avoir justice ? Personne. Ce n’est pas le genre de la maison. Sans renoncer aux manifestations de rue qui sont sa carte de visite depuis des décennies, le Lavalas canal historique, celui qui a ses racines profondément ancrées à Tabarre, dans la cour de la résidence de Jean-Bertrand Aristide, a fait le pari d’aller par-devant le Bureau du contentieux électoral départemental (BCED) puis, par-devant le Bureau du contentieux électoral national (BCEN) pour contester les résultats et essayer de faire sortir de la course Jovenel Moïse, le candidat du PHTK. Si ses objectifs n’ont pas été atteints, si le CEP n’a pas suivi la logique des découvertes mises à jour par le BCEN au Centre de tabulation, il est évident que Lavalas a remporté une victoire morale contre les fraudeurs et les inventeurs des irrégularités. 78 procès-verbaux à problèmes sur 78 procès-verbaux analysés, quelle gifle à la face des pontes du CEP ! Quelle honte pour la Minustah et le PNUD ! Le Lavalas des années 2000 n’est pas le parti de 2015. Lavalas a résisté, s’est renouvelé, est passé à une autre version de son logiciel tout en gardant intact son ADN et son leader historique. Aujourd’hui, Lavalas demeure le mouvement qui a donné naissance à la démocratie représentative en Haïti avec l’élection de 1990, le parti qui a payé le plus lourd tribut pour ses erreurs (des années perdues sur ses deux mandats incomplets), le parti qui a déploré le plus de militants assassinés, le parti qui a été le plus subdivisé, le parti qui a donné naissance au plus grand nombre de courants et celui qui reste, après les élections du 9 août et du 25 octobre, dans le top 5 des formations politiques haïtiennes de la prochaine législature. Après des années d’absence, sans grands moyens, avec des ramifications qui sont devenues autant de branches ennemies, le parti de Jean-Bertrand Aristide fait un retour remarqué sur la scène politique avec Maryse Narcisse. Parlant de surprise, l’inaction et l’indécision de Jude Célestin en sont de grosses. Le candidat, en tête des sondages, en pole position dans les résultats préliminaires, classé pour le 2e tour par le CEP, ne sait que faire. Depuis mardi et la proclamation des résultats définitifs, il consulte, rencontre, subit des pressions, pèse le pour et le contre. Comment celui qui avait déjà en main le destin de la présidentielle de 2010 peut-il être à nouveau dans une situation si fragile cinq ans plus tard ? Piégé par la force de Moïse Jean-Charles et de Maryse Narcisse sur le béton, le candidat de Lapeh doit, dans les prochaines heures, dire son choix. Jude Célestin pourra-t-il réunir une coalition soudée, faire le tri dans ses supports ? Se définir une nouvelle ligne pour aller affronter Jovenel Moïse ? Jude Célestin va-t-il poser des conditions, exiger des changements dans la machine électorale, lutter pour obtenir des garanties et des garde-fous avant de se lancer dans l’arène ? Jude Célestin va-t-il comme en 2010 laisser tomber la bataille, rentrer sous sa tente et rendre orphelins ses partisans ? La grande surprise est que Jude Célestin n’a jamais pesé aussi lourd dans la balance. Mais on se demande s’il s’en rend compte. Est-il conscient du poids qu’il a aussi sur les épaules ? Célestin va-t-il faire face à son destin, perdre la face ou accepter le face à face ? Lavalas a remporté une victoire morale qui risque de ne pas lui donner plus de pouvoir. Celui qui aura le pouvoir après les manœuvres tactiques hors pair de Martelly risque de ne pas avoir le poids moral nécessaire pour mener le pays à bon port. Que Jude Célestin gagne ou perde, il est la clé de la présidence 2016. A quoi sert une clé qui ne trouve pas la bonne serrure ? Sauf surprise, il faudra une entente sur l’essentiel pour donner un sens aux prochaines cinq années. Sinon, il faudra réinstaurer la violence comme mode d’imposition d’un choix. Ces dernières décennies, les Haïtiens ont échoué sur ces deux tableaux. Les protagonistes de 2015 pourrons-ils finir l’année sur une agréable surprise ? Qui, au pays du réalisme merveilleux, est convaincu qu’une surprise aussi, cela se construit ?


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