MosaikHub Magazine

Trop soigner rend malade !

vendredi 13 mai 2016

Comment le fait de baisser les seuils de dépistage permet de transformer de simples facteurs de risque en maladie… nécessitant un traitement.

Par Anne Jeanblanc

Pourquoi, en dépit des progrès indéniables de la médecine, de l’incitation à réduire graisses et sucres dans l’alimentation et à pratiquer une activité physique, le nombre de cas de diabète de type 2 a-t-il été multiplié par trois en vingt ans ? Pourquoi 7 millions de Français prennent-ils tous les jours des statines pour réduire leur taux de cholestérol ? Pourquoi un Français de plus de 35 ans sur trois est-il considéré comme hypertendu ? Ces questions et bien d’autres, le docteur Jean-Pierre Thierry, spécialisé en santé publique et en informatique de santé, et Claude Rambaud, juriste spécialiste de la prévention des risques liés aux soins, les posent dans un livre passionnant au titre explicite : Trop soigner rend malade*

50 milliards d’euros gaspillés

La réponse de ces deux fins connaisseurs de notre système de santé est claire : il a suffi de baisser les seuils de dépistage pour que tout facteur de risque soit considéré comme une maladie. Et qui dit pathologie dit examens et traitements entraînant d’éventuels effets secondaires, voire des complications, donc des dépenses inutiles. Les auteurs estiment leur coût à près de 30 milliards d’euros, sur un total de dépenses d’assurance maladie fixé à 186 milliards pour 2016. Et si l’on ajoute les frais de prise en charge et de traitement des complications, ainsi que des erreurs médicales liées à cette surmédicalisation, on arrive à un gaspillage de plus de 50 milliards d’euros, sans compter les arrêts de travail et les pensions d’invalidité !

L’exemple de l’insuffisance rénale est moins connu que ceux cités précédemment, mais tout aussi instructif : dès 1930, la mesure de taux de concentration de la créatinine dans le sang a été utilisée pour évaluer le fonctionnement des reins. Pour tenter de mieux identifier les individus à risque, les néphrologues américains ont arbitrairement fixé un nouveau seuil en 2002 : ce sera désormais 60 millilitres par minute, contre 90 auparavant, ce qui correspond à peu près à une perte de 50 % de la capacité moyenne d’un adulte de 18 ans. Ce nouveau standard a été rapidement admis en France et dans le monde. Conséquence : un adulte sur huit est devenu « insuffisant rénal » du jour au lendemain, contre un sur soixante la veille du changement. Et si l’on ne prend en compte que les plus de soixante ans, on arrive à un individu sur trois (un sur deux après 70 ans).

Les néphrologues français ont défini deux nouveaux stades de « maladie rénale chronique » et le diagnostic ne devra être porté qu’en présence d’autres signes biologiques (comme la présence de protéines dans le sang). Le terme « insuffisance rénale » est réservé aux personnes dont l’état est susceptible d’évoluer et de nécessiter, à terme, des traitements lourds (dialyse ou greffe de rein). Il faut ajouter que des chercheurs danois ont montré qu’un taux de 60 millilitres par minute pouvait être qualifié de normal pour les hommes de plus de 60 ans et les femmes de plus de 50 ans et qu’il n’était pas judicieux de parler de maladie. Alors, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, il ne faut jamais hésiter à dire à un médecin : Docteur, est-ce bien nécessaire ?

* É ditions Albin Michel, 304 pages, 18,50 €


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