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Des témoignages de détenus torturés par la CIA déclassifiés

jeudi 16 juin 2016

Le dossier sur l’usage de la torture par la CIA s’épaissit. De nouvelles déclassifications confirment la violence et l’inefficacité du programme.

Par Le Point.fr

Prisonniers enchaînés, contraints de rester pendant toute une semaine dans une caisse jusqu’à ce que leurs pieds enflent, simulations de noyade (« waterboarding ») : l’usage de la torture par la CIA dans la foulée des attaques du 11 septembre 2001 est connu et documenté. Début décembre 2014, le Sénat américain avait rendu un rapport de 500 pages sur un programme des services secrets, pour capturer et interroger, en dehors du cadre judiciaire normal, des hommes soupçonnés d’être en lien avec Al-Qaïda. Le gouvernement vient de compléter le dossier en déclassifiant des transcriptions d’audiences militaires d’anciens prisonniers. Pour la première fois, des témoignages directs sont accessibles officiellement, a rapporté le Washington Post .

Le programme de la CIA incluant des « techniques d’interrogatoires renforcées » a été lancé en 2002 après la capture au Pakistan d’Abou Zubaydah, un Saoudien alors considéré à tort comme le chef d’Al-Qaïda. Après sa détention dans diverses prisons, l’homme a été conduit dans la base américaine de Guantánamo, sur l’île de Cuba, où il comparaît en mars 2007 devant plusieurs officiers. Au cours de cette audience, il affirme que la CIA l’a torturé, qu’il a dû rester debout des heures, nu et enchaîné dans une cellule froide. « Ils m’enchaînent tout entier, même la tête. Je ne peux rien faire. Ils me mettent un tissu sur la bouche, et ils mettent de l’eau, de l’eau, de l’eau. Je leur dis : si vous voulez me tuer, tuez-moi », indique la transcription, reprise par le New York Times .

Des négligences responsables de la mort d’un détenu

Parmi les dossiers déclassifiés : une enquête interne très détaillée sur l’interrogatoire et la mort de Gul Rahman, comme l’explique l’article du Washington Post. Suspecté de liens avec Al-Qaïda, l’homme décède après avoir passé la nuit dans une cellule glacée de Salt Pit, une prison de la CIA en Afghanistan. Ce mémoire de 35 pages reprend des éléments déjà connus sur les douches glacées qui ont précédé cette nuit fatale, mais les éléments déclassifiés exposent les négligences et dysfonctionnements de l’agence de renseignement américaine qui ont rendu la mort du détenu quasiment inévitable.

La torture a officiellement progressivement été abandonnée à partir de 2006, quand la Cour suprême a fait peser sur l’agence de renseignement la menace de poursuites pour crimes de guerre. Dès 2009, avec l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, le gouvernement publiait les transcriptions des audiences, mais réécrivait les témoignages des détenus. Cette semaine, il a donc livré l’intégralité de ces notes, à la demande de l’Union américaine pour les libertés civiles (Aclu), qui lui avait intenté une action en justice.

Une surévaluation de l’utilité des informations obtenues par la torture

« À une époque où certains politiciens proposent que le programme de torture soit réactivé, il est crucial que les Américains puissent avoir accès à ces déclarations de première main, et pas seulement aux comptes rendus complaisants donnés par ceux qui ont autorisé la torture », a déclaré Dror Ladin, porte-parole de l’organisation. Le candidat républicain à la Maison-Blanche Donald Trump a en effet affirmé à plusieurs reprises sa volonté d’utiliser tous les moyens pour combattre les « ennemis terroristes » et qu’il souhaitait modifier les lois en ce sens.

À la suite des premières révélations, la CIA avait réagi en reconnaissant que l’usage de la torture avait été une erreur, mais qu’elle avait permis de sauver des vies et d’éviter d’autres attentats grâce à des informations qu’il aurait été impossible d’obtenir autrement. Or, parmi les nouveaux passages de la transcription repérés par le New York Times, une ligne explicite le contraire : « Un psychologue/interrogateur a déclaré plus tard que l’usage de la planche de bois avait établi que AZ (Abou Zoubaydah) n’avait pas d’autre information sur des menaces imminentes. » La nouvelle version des transcriptions d’audience tend à prouver que la valeur des informations ainsi récoltées est souvent surestimée, la brutalité des méthodes atténuée.

Les transcriptions d’audiences pourraient avoir des conséquences importantes pour plusieurs anciens détenus actuellement jugés par des commissions militaires à Guantánamo pour crimes de guerre. Leurs avocats utilisent cet argument des tortures subies en détention pour réclamer en contrepartie que leurs clients échappent à la peine de mort. Ces documents offrent une preuve tangible à leur ligne de défense. Comme le déclarait précisément Khalid Shaikh Mohammed, considéré comme le cerveau du 11 Septembre, lors de son audience : « J’ai été torturé par la CIA. Personne ne me croira. »


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