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Portrait de l’imposteur

mercredi 26 juillet 2017

National -
À tel moment de sa vie, il suivait telle personne très en vue dans son domaine d’activité, imitait son parler, ses postures. Quand ils sortaient ensemble, le maître devant et lui derrière, on disait : « Tiens, voilà Saint-Roch et son chien. »

Ce ne sont pas les maîtres qui manquent, et les fortunes varient comme les temps et les lieux. L’imposteur change avec ses maîtres et adopte le parler, les postures, de tel autre très en vue dans son domaine d’activité. Quand on les voit ensemble, le nouveau maître devant et lui toujours derrière, on a envie de dire : « Tiens, voilà Saint-Roch et son chien. » Mais le chien de la légende était fidèle et généreux. N’est pas bon chien qui veut.

En continuant dans le bestiaire, l’imposteur fait aussi le singe. Il répète, emprunte, imite, copie, parodie… Il vit avec les mots des autres, cite toujours sans guillemets. C’est un singe qui tient des propos authentiques puisqu’il s’entraîne à répéter les vérités des autres. C’est un peu comme un écrivain appréciant tant l’œuvre des autres qu’il la signerait sans remords en se basant sur le principe que tout ce que j’aime m’appartient. Sauf que les autres se suivant sans forcément se ressembler, les vérités de l’imposteur changent du jour au lendemain et la liste est bien longue de ses cohérences. On en arrive à se demander comment une seule personne peut penser tant de choses différentes, voire contradictoires, ainsi tout dire et se dédire ?

S’il est oiseau, il est coucou et va pondre dans le nid des autres. ll flatte toutes les vanités, peut jouer Pierre contre Paul, présenter vessies pour lanternes, se relooker au goût du jour. Il ne fut jamais le même être selon la légende qu’il s’invente au hasard d’une nouvelle rencontre. Mais l’assertion est fausse : il ne connaît pas le hasard et choisit quels autres et quels nids au bout de très savants calculs. Son nid à lui, son origine, il n’aime pas que les autres en parlent. Il est un peu duvaliériste et la reconnaissance, le docteur l’avait dit, ne peut être qu’une lâcheté. Et il suffit de dire que l’on n’a pas de dettes pour ne pas les payer. Mais un passé peut être utile, alors il emprunte à l’envi les expériences et les histoires des autres et raconte qu’il les a vécues.

L’imposteur est un vrai modèle qu’on croirait sorti d’un traité. Il sévit dans tous les domaines et tous les champs d’activité. Qui n’en connaît pas au moins un ?
Je préfère encore le franc réactionnaire, le conservateur borné, le militant rigoriste, le révolutionnaire dogmatique, quitte à savoir quel mort je mouille, contre qui et quoi je m’insurge, avec qui et vers quoi je peux faire un bout de chemin, quelqu’un dont on puisse dire : il /elle a eu raison sur tel point, il/elle s’est trompé(e) mais fut sincère, à ce pragmatisme du reptile, hostile à toute dignité.

Hélas, le problème avec l’imposteur, c’est qu’à moins du miracle d’une dernière métamorphose qui le transformerait en scorpion, l’amenant à mordre sa queue, il peut sévir encore longtemps.

Antoine Lyonel Trouillot
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