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Marche contre la corruption : petit succès, forte détermination

jeudi 7 décembre 2017

A tout casser, entre 2 000 et 2 500 personnes ont participé à la marche contre la corruption. Si Port-au-Prince n’est pas Santo Domingo ni Tel-Aviv, organisateurs et manifestants jurent de continuer la bataille contre ce fléau.

National -

A la place de la Constitution de 1801, point de ralliement de la marche contre la corruption, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées le mardi 5 décembre 2017. Peu après 10 heures 32, Jean-Robert Arguant, chef de file du « Collectif 4 décembre », principal organisateur du mouvement, s’exprime. Sa voix ne porte pas. Par moments, son leadership semble être noyé par cette petite foule composée en partie d’étudiants amers, de véritables pompes à slogans imbibés d’acide. Leurs cibles, quelques organisateurs du mouvement, assimilés à des représentants de la bourgeoisie. Submergé, sans être dépassé, Jean-Robert Argant, t-shirt blanc, consulte des partenaires, semble prêt à lancer la marche. L’ex-candidat à la présidence Eric Jean-Baptiste, entre deux battements de tambour, brandit une corde en sisal « kòd pit », objet utilitaire et symbole par excellence de la volonté de ligoter les corrompus. « Pèp la pa ka manje, inivèsite kraze, boujwa ap boloze », scandent des étudiants, portés par des percussionnistes d’un rara. « Nous ne sommes pas dupes. Ce sont des bourgeois rejetés par Jovenel qui sont sur le béton aujourd’hui », hurle un manifestant, comme si, pour lui, cette marche offre l’occasion idéale pour liquider des griefs, des contentieux. La presse, loin d’être épargnée, en prend pour son grade. Quelques journalistes séniors, accusés de torpiller le rapport d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des fonds PetroCaribe à leurs émissions grand public, sont taxés de corrompus, de « vendeurs de micro ». Emmurés dans leurs certitudes, ils égrènent des noms, comme les minutes qui filent.
Corruption, l’ennemi commun
La marche, tout au moins une première vague, s’ébranle, s’engouffre à la rue St-Cyr. Elle surfe sur un océan de pancartes, certaines estampillées « Bare vòlè », « Non à la corruption », « Non à l’impunité » « Jije tout vòlè PetroCaribe yo », « Prezidan enkilpe pa ka batay kont koripsyon ». Sur des posters -certains ligotés- des photos du président Jovenel Moïse, des ex-Premiers ministres Laurent Lamothe, Jean-Max Bellerive et de ministres de leurs gouvernements respectifs épinglés dans le rapport Beauplan. Ces personnalités sont « Wanted », recherchées, selon ces posters. Le ton est donné, la corruption est l’ennemi commun même si le corrupteur n’est pas le même pour tous. L’avenue Charles Sumner, adresse de trois ministères, est sous haute surveillance. Des agents de l’ordre sont en faction. En face du ministère des Affaires sociales, cette fois, il y a consensus au sein de manifestants pour crier « bare vòlè, bare koronpi » au son de clochettes, devenues pour certains symboles de résistance à la corruption. C’est avec une clochette que le sénateur Antonio Chéramy a perturbé la séance sur le projet de budget 2017-2018 en criant : « Bare vòlè ». Il y a quelques mois, le ministre des Affaires sociales a été destitué à cause d’un dossier de surfacturation présumée de kits scolaires. Depuis, c’est le calme plat. Sans être sur l’itinéraire de la marche, des manifestants ont fait un arrêt en face du siège social de la Digicel, à Turgeau. La compagnie est accusée de voler ses clients par les manifestants, de plus en plus nombreux pour être, à tout casser, entre 2 000 et 2 500 avant de descendre l’avenue John Brown, vers le Parlement.
Pas de marée humaine...
La marée humaine espérée par certains pour dire non à la corruption n’a pas déferlé sur la capitale. Port-au-Prince n’est pas Santo Domingo. Pas Tel-Aviv. En tous cas, pas encore. « C’est un premier pas », a estimé Marie-Antoinette Gauthier, ex-candidate à la présidence, présente à la marche. Encore plus pugnace, Roxane Ledan, photographe et activiste sociale, « révulsée par la corruption », a estimé que « rien ne changera aujourd’hui ». « A l’avenir, oui », a-t-elle gagé, décidée à cracher sa colère vis-à-vis de ce peuple qui demeure passif, indifférent alors qu’il est pillé par beaucoup de ses dirigeants. « Je suis engagé dans une lutte sans merci contre la corruption », a soutenu le député de l’opposition, Jean-Robert Bossé, content que la société civile se soit réveillée. « La bataille contre la corruption est celle de tout le monde », a indiqué un autre député de l’opposition, Joseph Manès Louis, qui tance le président Jovenel Moïse. Le chef de l’Etat, pour le député de Cabaret, bluffe en prétendant lutter contre la corruption. On manifeste avec de plus en plus d’ardeur ; entre-temps Assad Volcy est pris à partie. « Il a trahi en rejoignant Jovenel Moïse. On devrait lui faire la peau », estime un manifestant tandis qu’un autre, en face de l’intersection de Lalue et de la rue Dufort, a souligné que chacun devrait être libre de ses choix. Le responsable politique a été entouré de quelques agents de l’ordre pour éviter le pire.
La bataille se poursuit...
Sous le soleil de plomb, quelques manifestants, en direction du Bicentenaire, ont couvert d’invectives ceux qui sont restés chez eux. Les sénateurs Patrice Dumont, Antonio Chéramy et d’autres politiques ont été remarqués. Sans incidents notables, jusqu’au Bicentenaire, la marche, pacifique, stoppée à quelques centaines de mètres du Parlement, a été dispersée par la police. C’est en face du barrage des policiers de l’unité anti-émeute que Jean-Robert Argant, après avoir scandé « aba koripsyon, mare kòronpi, mare koriptè, viv Ayiti », a promis que cette génération, dans l’unité, comme nos ancêtres en 1803, lors de la guerre de l’indépendance, briserait les chaînes de la corruption.
« La bataille lancée contre la corruption par le collectif est un premier pas », a indiqué Eric Jean-Baptiste, soulignant que pacifiquement, cette lutte continuera. « Nous entendons certains dire que l’argent de PetroCaribe a disparu. C’est faux. L’argent ne tombe pas du ciel. L’argent de PetroCaribe est sur les comptes en banque. Il y a un échantillon sur une plage à Montrouis, St-Marc. Il faut que tous les Haïtiens s’impliquent pour faire chavirer le système qu’est la corruption », a dit Eric Jean-Baptiste, précisant, interrogé par le journal, qu’un ex-président habite une maison de 8 millions de dollars. « Je ne sais pas si la maison est à lui. C’est lui qui avait déclaré que cette maison coûtait 8 millions de dollars. Avant de devenir président, il était en faillite. Où a-t-il trouvé cet argent ? », s’est demandé Eric Jean-Baptiste, qui n’a pas cité le nom de la personne indexée. « C’est un ancien président, qui vient de boucler son mandat de cinq ans », a-t-il poursuivi avant de partir, comme le reste des manifestants…
Roberson Alphonse

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