MosaikHub Magazine

Les projecteurs de Wilson Laleau sur les accords avec Trinidad and Tobago

samedi 30 août 2014

Le ministre du Commerce et de l’Industrie Wilson Laleau fait le point sur le memorandum d’entente signé avec Trinidad and Tobago. Port of Spain s’emballe, Port-au-Prince explique.

Le Nouvelliste (LN) : Que dit l’accord commercial entre les pays de la CARICOM sur l’acquisition de produits pétroliers ?

Wilson Laleau (WL) : Permettez, pour répondre à cette question, que je fasse une double considération d’ordre technique.

Disons pour commencer et pour rendre les choses plus claires, que l’acronyme anglais CARICOM signifie Caribbean Community (Communauté de la Caraïbe, en français). Il dit tout sur l’ambition des pays membres d’harmoniser leurs politiques commerciales en vue de faciliter la fluidité et la libre circulation dans la région, des biens, des capitaux et des personnes originaires de la région dans le cadre du Marché et Economie Uniques de la CARICOM (CSME en anglais). Autrement dit, si on isole les coûts de transport et de manutention, et autres taxes internes, le prix d’un bien produit dans un des pays membres vendu à Trinidad, à Antigua, en Jamaïque ou en Haïti devrait être exactement le même (c’est-à-dire affranchi des droits et taxes imposés aux mêmes produits provenant des pays non membres), en assumant que les marges des distributeurs sont les mêmes. L’objectif ultime de ce genre d’arrangement régional (CSME), comme dans le cas de l’Union européenne par exemple, est d’élargir la taille des marchés des biens et services produits localement, augmenter le volume des investissements dans les secteurs concernés et, par ainsi, faciliter la création d’emplois et de richesses.

Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le Marché et Economie Uniques caribéen est en progression lente. Des progrès majeurs ont été réalisés au cours des dernières années dans cette direction mais les problèmes logistiques et la différence des niveaux de développement des pays font que beaucoup d’efforts restent à faire pour permettre à ce genre d’arrangement d’avoir les effets escomptés. Les pays membres ont défini deux types de politiques en matière commerciale. Une politique envers les produits provenant des pays non membres qu’on appelle le TEC (Tarif Extérieur Commun) qui impose un tarif unique à ces produits quel que soit le point d’entrée au niveau de la région. Le TEC considère l’ensemble des pays membres comme étant un seul pays où par exemple un bien importé, disons de la France, arrivant en Haïti par le port du Cap-Haïtien, des Cayes ou des Gonaïves, doit payer le même tarif pour accéder au marché haïtien. C’est la même logique qui prévaut dans le cadre de la CARICOM. 

Le deuxième type de politique se réfère aux arrangements intra-régionaux. Malgré tous les progrès réalisés au cours des dernières années pour lever tous les obstacles (tarifaires et non tarifaires) au commerce intra-régional, pratiquement tous les pays continuent d’utiliser des droits de douane et autres droits d’importation sur tous les produits provenant de la région.

Les Etats membres de la CARICOM sont divisés en deux groupes de pays : les Pays Plus Développés (Bahamas, Barbade, Guyana, Jamaïque, Trinidad and Tobago et Suriname) et les Pays moins Développés (PMD) qui sont constitués de l’ensemble des Etats de la Caraïbe de l’Est, dont Belize et Haïti. En effet, comme dans tout accord commercial, les pays signataires en fonction des intérêts nationaux en termes de politique industrielle ou commerciale établissent une liste de produits qui ne font pas partie de l’accord. C’est la liste d’exclusion. Par exemple, la Jamaïque impose des droits de douane sur le lait frais et produits dérivés ainsi que sur l’acier, Trinidad and Tobago impose des tarifs sur l’huile à moteur, la gazoline, sur les cigares et les cigarettes, d’origine régionale, etc., tandis que les PMD imposent des droits de douane et droits d’accises sur un ensemble de produits, dont le rhum et les boisons gazeuses d’origine des PPD. D’autres mesures de restrictions (obstacles techniques au commerce) telles que les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) sont pratiquées par presque tous les pays.

La considération d’ordre spécifique renvoie au fait que Haïti soit le seul Etat membre de la CARICOM qui n’a pas encore appliqué TEC. Les considérations faites plus haut ne concernent pas encore Haïti. Il est clair que le pays, pour les besoins de son développement, a un énorme intérêt et, de fait, s’est engagé officiellement à intégrer le TEC. Mais, dans ce cas, les produits pétroliers ou tout autre produit jugé stratégique peuvent être mis sur notre liste d’exclusion.

LN : « En vous vendant ces produits, vous allez continuer à nous aider à générer des revenus, employer des citoyens de Trinidad and Tobago. En même temps, avec nos produits arrivant chez vous sans payer de taxes, cela signifie que vos citoyens en bénéficieront aussi », a déclaré le Premier ministre de Trinidad and Tobago Kamala Persad-Bissessar dans le journal Trinidad Guardian. Avez-vous un commentaire ?

WL : Cette considération renferme deux propositions. La première, ayant rapport à l’augmentation du niveau d’activité du pays vendeur, en l’occurrence Trinidad and Tobago, est vraie. Elle est au fondement de ce type d’accords commerciaux. Le pays acheteur a aussi un gros avantage à participer à l’échange mais pas forcément pour les raisons exprimées ici dans la proposition 2. Comme je l’ai indiqué plus haut, Haïti n’est pas encore signataire du TEC et ne peut donc pas utiliser ses dispositions dans le cadre de cet accord. Les tarifs actuels pratiqués en Haïti sont applicables dans ce cas.

Deuxièmement, vendre le pétrole moins cher voudrait dire pratiquer deux prix différents sur le marché de ce produit. Cela n’est pas possible dans un pays pour un produit aussi stratégique. Ensuite le nouvel accord n’a pas vocation à casser les accords existants ou être considérés au détriment des intérêts des investisseurs existants. L’objectif ultime de l’état c’est d’assurer le bien-être collectif. Tout le monde doit y trouver son compte. Le principal avantage recherché par Haïti dans le cas qui nous occupe ici est de réduire la tension sur les mécanismes d’approvisionnement du pays en produits pétroliers. Comme tout le monde le sait, l’offre de ce produit à Haïti est assurée dans le cadre de l’Accord Petro-Caribe qui fournit 14 000 barils par jour. Pour une consommation quotidienne de plus de 18 000 barils, le pays doit recourir à des « commandes spot » pour compléter la différence d’environ 4 000 barils sur le marché libre achetés au prix fort. De plus, Haïti fait partie des rares pays du monde qui ne constituent pas de stocks stratégiques de ce produit essentiel. Il suffit qu’un bateau soit en retard d’une journée pour provoquer l’alarme générale. Le secteur souffre d’un problème majeur de sous-investissement. Un accord comme celui-là en plus de faciliter un approvisionnement régulier du marché garantit des investissements en infrastructures dont a besoin ce pays pour développer son secteur pétrolier.

LN : Le mémorandum d’entente signé le 27 juillet n’indique pas ces dispositions. Le jeudi 31 juillet, vous avez indiqué en conférence de presse avec le chef de l’Etat Michel Martelly que les détails de l’application de cette entente ne sont pas encore définis. De quoi s’agit-il ?

WL : C’est clair. Il s’agit ici d’un mémorandum d’entente. Les modalités d’application sont encore à définir.

LN : Est-ce qu’un accord de 30 millions de dollars dans le secteur de l’énergie a été signé entre Haïti et Trinidad and Tobago comme le dit le journal the Trinidad Guardian ?

WL : Pas à ma connaissance.

LN : Pourquoi c’est le ministère de l’Energie qui n’a pas de loi organique, pas de budget, pas d’entrer au Parlement qui est « partie » engageant l’Etat dans ce mémorandum d’entente avec Trinidad and Tobago et non les TPTC ?

WL : Il est clair que le ministère de l’Energie est un ministère délégué qui agit au nom et pour le délégateur, en l’occurrence, le Premier ministre. L’accord prévoit la mise en place d’un Comité de suivi composé d’autres ministères dont les Travaux publics, le Commerce et l’Industrie dont les ressources organisationnelles et techniques seront mobilisées chacun en ce qui le concerne dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord.

LN : Quels sont les avantages à long terme de cette coopération en matière d’énergie entre l’Etat haïtien et Trinidad and Tobago ?

WL : Les avantages sont multiples. Sans prétendre à l’exhaustivité ici, notons d’abord que d’accueillir un grand joueur qui a une expérience éprouvée est une bonne chose pour une industrie. Pour faciliter la compétition, principal levier pour assurer la modernisation des activités du secteur et réduire les coûts. Deuxièmement, Trinidad and Tobago est un des pays leaders de la CARICOM et un des pays les plus avancés de ce bloc régional. Renforcer nos liens avec ce pays favorise de meilleurs rapports entre nos peuples et permet de développer des synergies mutuellement bénéfiques. Troisièmement, c’est le pays qui a développé les plus grandes capacités en matière de recherches pétrolières dans la région. Avec ce qui se dit sur les potentialités du sous-sol haïtien, un transfert de connaissances sera bienvenu pour favoriser le développement de cette industrie en Haïti. Rappelons pour mémoire que le mémorandum d’entente concerne aussi la recherche pétrolière, le développement de capacités de stockage de produits pétroliers dans le pays qui permettrait de régler le problème de la constitution de stocks stratégiques, la production de bonbonnes de gaz pour le transport du gaz propane liquéfié (GPL). Pour ce dernier point, l’ambition du gouvernement est de faire passer la consommation de ce produit de 18 000 tonnes l’an actuellement à environ 180 000 tonnes et convertir plus de 600 000 ménages qui utilisent le charbon de bois en utilisateurs du GPL, et ce, sans préjudice des autres énergies de cuisson alternatives qui se développent dans le pays. L’expérience faite au Parc Industriel Métropolitain (PIM) depuis plus d’un an avec les « machann manjé kwit » pour les ouvriers du parc est là pour prouver que préparer à manger devient non seulement une activité plus propre et plus rapide pour la marchande, elle est surtout moins coûteuse, donc plus rentable. C’est une excellente manière de bloquer le processus accéléré de déboisement du pays. Le MCI est en train de développer une stratégie avec le ministère de l’Environnement, le ministère des Travaux Publics à travers le Bureau des Mines et de l’Energie et le ministère de l’Energie, pour accompagner la reconversion des personnes impliquées dans l’industrie du charbon. Un plan préparé et discuté avec la profession est soumis au gouvernement et des protocoles d’accord vont être signés pour permettre une meilleure articulation des interventions de ces ministères sectoriels sur ce dossier stratégique. Le protocole signé avec Trinidad and Tobago va permettre d’avancer plus rapidement et plus sûrement sur ce dossier.

LN : Avez-vous le sentiment que le secteur privé haïtien est rassuré après la rencontre de la semaine dernière pour partager après des informations sur le mémorandum signé entre l’Etat haïtien et Trinidad and Tobago ?

WL : Je me félicite de la réaction très forte du secteur privé intéressé à la question. C’est une bonne chose pour un pays quand les principaux acteurs concernés se mobilisent pour forcer le débat et obliger une clarification des positions sur des sujets importants. Le pays ne peut qu’en sortir gagnant. Le mémorandum dans son contenu est plutôt très général et ressemble dans sa conception à d’autres protocoles déjà signés par le pays. Chacun se souviendra de toutes les précautions que le gouvernement avait prises avant de signer le mémorandum sur le commerce avec la République dominicaine qui concerne des aspects spécifiques de nos rapports avec un partenaire commercial stratégique et incontournable pour le pays. Nous pensons qu’il n’y a pas raison de trop s’inquiéter dans le cas en présence. Bien au contraire. Les accords signés avec les Bahamas, la République dominicaine, Trinidad and Tobago et très prochainement le Mexique ou la ratification prochaine par le Parlement haïtien de l’Accord de partenariat économique avec l’Union européenne et le CARIFORUM rentrent bien dans le cadre de la politique générale promue par le président de la République et mise en œuvre par le gouvernement de remettre Haïti sur la carte mondiale des affaires et favoriser une dynamique moderne dans la manière de faire les affaires dans le pays pour le bénéfice de la population dans son ensemble. Nous sommes vigilants et conscients de nos responsabilités sur la manière de défendre les intérêts du pays.

LN : Merci de répondre à une question importante peut-être posée.
Bien à vous M. le ministre. Encore merci pour votre disponibilité.

WL : C’est à moi de vous remercier cher ami de m’avoir donné l’occasion de m’expliquer à vos lecteurs. J’espère que cela permettra de clarifier bien des points. Merci encore !


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie