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Sept minutes de perdues

lundi 18 février 2019 par Charles

National -

Dieu, que j’ai honte. De moi d’abord. Sept minutes de perdues. Je regardais pourtant un bon film d’action avec des scènes de combat bien pensées. Je me suis dit que c’était quand même un Président, de préférence sur le départ, mais un président quand même. J’ai honte de moi. Car, comme tout le monde je sais qu’on ne change pas en six jours : Petro Caribe. Niet. Il dit avoir écouté, mais il n’a pas entendu que la principale demande c’est qu’il s’en aille. Plus tard, en retournant à ma vidéo, j’ai pu vérifier que les scènes que j’avais ratées étaient bien mieux.
Mais j’ai quand même un tout petit peu le sens de l’orgueil national. Alors je suis allé sur les réseaux sociaux. Et j’ai eu honte. Pour la République. Un amateur de proverbes : « Sa l di a ak sa l pa di a se menm bagay. » Un amateur de poésie qui cite Baudelaire : « J’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécilité. ». Un lacanien : « il a perdu le sens du réel ». Un sage qui nourrissait quelque espérance d’entendre des mots à la hauteur de la gravité de la situation : « Yo bay nèg la delòk peyi a, li kase kle a nan kadna a. » Des images. Plus moqueuses que celles auxquelles le pauvre Boateng avait eu droit il y a quelques années après un dribble de Messi. Une bouche béante… Des yeux d’aveugle… Et je me demande ce que nous avons fait pour que ce soit le choix de la « communauté internationale », d’une partie de la bourgeoisie haïtienne. Tel est allé encore le défendre à l’étranger et le droit d’exploiter les ouvriers en toute tranquillité.
La honte aussi pour ceux qu’il traite comme des riens qui obéissent mal à ses ordres. Pour la police, ce qui ressemble à un ordre de tuer. Pour le premier ministre, quasiment un coup de pied aux fesses : ordre d’expliquer et d’appliquer. Et derrière cette folie du pouvoir d’ordonner, derrière cette mégalomanie : « mon destin et le vôtre sont liés », on entend la petite voix qui dit aux Américains : gardez-moi, je vous donne tout.
Et puis cette offense à une population qui manifeste : la présence de bandits, d’éventuels trafiquants… Ce ne serait que la vérification d’une habitude instaurée par son mentor et ses partisans. Et les adolescents tués, ces milliers de personnes qui demandent du pain, de l’instruction, ces militants des quartiers populaires qui ont face à la répression en plus de la gêne, ce sont des trafiquants, des bandits ?
Les gens qui manifestent contre vous sont ceux qui prennent sur leur pauvreté pour payer votre salaire, monsieur le président. Et plus que votre salaire, selon certains rapports. Ils avaient droit à ce que vous leur disiez que vous alliez faire la preuve que les conclusions du rapport de la Cour Supérieure des Comptes sont fausses en ce qui vous concerne. Au moins cela.
Mais non. Fanfaronnades. Dénigrement de vos collaborateurs. Fureur répressive. Injures et aplatissement servile devant l’international ou les Etats-Unis. Moi, au bout du temps perdu j’ai pu retourner à mon film où je l’avais laissé. Mais sept minutes de perdues dans le temps de la nation. Est-ce le bon chemin pour entrer dans l’Histoire ?

Antoine Lyonel Trouillot
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