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Portrait de médecins Dr Marie Jocelyne Dorlette, au revoir et merci

mardi 13 août 2019 par Charles

Environ 40 ans dans le service public, dont 36 longues années passées à travailler au sanatorium de Port-au-Prince. Le nom du Dr Marie Jocelyne Dorlette rime désormais avec la lutte contre la tuberculose en Haïti. Avec une capacité tout simplement sidérante, elle a entretenu avec rigueur et acharnement le mythe d’un médecin-chef qui a su faire fonctionner un hôpital public jusqu’au bout de la perfection.

Le Dr Marie Jocelyne Dorlette est morte le jeudi 2 mai 2019. Long a été son deuil, impénétrable est demeuré le vide qu’elle a laissé dans le monde médical haïtien.
« Je pense qu’elle a été un des rares médecins ayant fait carrière dans la fonction publique sans démériter de la patrie, car sa boussole était le serment d’Hypocrate prononcé lors de la remise de son diplôme le 13 août 1974 », a confié son amie et consoeur, le Dr Yolaine Paultre Bijou.
« On ne saurait ne pas apprendre aux côtés de cette dame truffée de fougue, de respect, de dignité, de rectitude, d’amour-propre et de connaissances. Elle va certainement faire tache d’huile dans le cœur de toutes celles et tous ceux qui ont eu la chance de la côtoyer », a ajouté Jean Abioud Sylvain, son collègue de travail.
Pourtant, sa vie n’a jamais été un long fleuve tranquille tant elle a emprunté les sentiers brûlants du travail bien fait et des tâches accomplies avec manière et ponctualité.
La description la plus fidèle venait de ses trois filles avec qui elle a formé les 4 « Jo » : Jovanie, Joëlle, Johane et elle-même, Jocelyne. « Notre mère, un vrai chef qui communiquait principalement à travers des gestes de la main, généralement, mais pas toujours, avec l’aide d’une baguette et celle qui, d’un contact des yeux, commandait une exécution rapide et sans faute. »
« Attentive, respectueuse, stricte, disciplinée, perfectionniste, opiniâtre », le Dr Dorlette sied vachement bien à tous ces qualificatifs d’une vie qui incite beaucoup plus au silence et à la réflexion qu’aux applaudissements.
Née le 23 décembre 1947, Marie Jocelyne Dorlette a fait ses études classiques au lycée des Jeunes filles, puis elle a intégré la faculté de médecine de l’UEH. À cette époque, celle qui allait devenir un pilier dans la lutte contre la tuberculose en Haïti était une fille joyeuse qui attrapait les anolis sur les clôtures pour en étudier leur anatomie, comme l’a révélé sa compagne de route, Maritou Chenet.
Son père était musicien et Jocelyne Dorlette était danseuse professionnelle, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. Parallèlement aux études médicales, elle a représenté Haïti à Porto Rico au congrès de la HASTA (Association du tourisme caribéen) où elle a fait l’honneur de la culture du pays.
Un matin, le divorce est passé par là, laissant la jeune dame qu’elle était dans l’impérieuse obligation d’élever seule ses trois filles.
« La vie de notre mère n’a pas été facile. Elle a vécu pour nous, ses filles. Nous n’avons manqué de rien et n’avons jamais souffert », a reconnu sa fille Johane Philogène.
Évidemment, on ne sort pas dans la vie comme on y est entré. De la danseuse aux étoiles est restée sa démarche « de boyscout et de jeune militaire », selon son expression.
Nous sommes en 1975. Elle venait de prendre la responsabilité de la clinique Impact Santé en vue de subvenir aux besoins de sa famille.
« Je n’ai pas connu une mère au foyer, sa vie était dédiée complètement aux malades. Lorsqu’elle était rentrée à la maison, elle avait la tête au boulot », a relaté Joëlle Philogène, la fille de la défunte.
Sa vie était son enseignement. En la regardant vivre, ses 3 filles savaient exactement ce qu’elle attendait d’elles. Le message était clair.
Elle rentrait tard, travaillait le soir jusqu’à l’épuisement. Le matin venu, elle était sur ses pieds de guerre, regardant de haut ces enfants. Elle savait dire « En avant, arche ! » en guise de motivation pour commencer la journée.
« En avant, arche », des mots ordinaires qui symbolisent pourtant l’implacable nécessité d’avancer, de donner au présent les couleurs de l’avenir afin que tout soit inscrit dans la continuité.
« En avant, arche », non pas pour s’enivrer dans l’agitation de l’action, mais parce qu’elle a voulu donner un sens à son existence.
En 1977, elle a trouvé l’objet de sa militance. Elle a été nommée médecin attaché aux pavillons des tuberculeux à l’hôpital Sigueneau de Léogâne où elle a passé 3 ans. En 1980, elle a intégré le sanatorium de Port-au-Prince. Pneumologue de formation, elle a bénéficié d’une solide formation en Algérie sur la prise en charge de la tuberculose.
De retour au pays, elle a labouré dans tous les sens de la géométrie les prés fleurissants de la pratique de la pneumologie en Haïti. À un moment où certains refusaient de fréquenter le sanatorium par peur d’être stigmatisés, elle s’est débattue pour combattre les clichés et donner à la prise en charge de la tuberculose ses lettres de noblesse en Haïti. Elle a surmonté moult difficultés. Pour elle, le côté tragique de l’histoire n’est pas une abstraction. Certains la présentent comme une emmerdeuse capable d’attacher la plus grande importance à la plus infime des erreurs.
Malgré tout, de 1980 à 1988, elle a tenu la barque du professionnalisme et de la discipline comme médecin de service au sanatorium, en avant, calme et droit. Au risque même de rater le train luxueux de la facilité.
Le Dr Yolaine Paultre Bijou rappelle à son sujet : « Elle était stricte mais juste, ne tolérant ni le laxisme, ni la paresse, ni la médiocrité encore moins la corruption. »
Conspuée ou adulée, c’est selon. La seule évidence est qu’elle forçait le respect de tous.
Ses épaulettes gagnées sur le champ de bataille lui ont valu d’être nommée assistant directeur au sanatorium de Port-au-Prince de 1988 à 2006.
Iconoclaste et perçante, jalouse de sa légende, elle a mis le curseur de l’exigence plus haut que les lauriers du présent et de la satisfaction à mi-chemin.
Médecin à l’écoute de ses patients, conseillère téméraire, capable de dire à un patient « sa m te di w » quand ce dernier n’a pas respecté son ordonnance. Elle commandait tout et tout le monde d’un geste, d’un regard et même parfois d’un soupir.
Professionnalisme en étendard, elle a poussé son tempérament à la limite de l’intelligence d’une carrière qu’elle voulait parfaite.
En 2006, elle accède par la grande porte au poste de directeur médical du sanatorium de Port-au-Prince.
Là-bas, elle s’est effacée pour qu’existent ses patients, elle s’est débrouillée pour pouvoir tenir le soir les promesses faites à l’aube. La houle du laisser-faire n’a pas altéré sa ferveur.
Grand témoin de sa vie, le Dr Paultre pense « qu’elle a mobilisé son savoir et toutes ses relations pour faire du sanatorium l’hôpital de référence pour les pathologies respiratoires. Détruit par le tremblement de terre, elle a pu le relever toujours en faisant appel à ses relations personnelles ».
Son objectif, celui pour lequel elle a étudié la médecine, était d’offrir à toutes les couches sociales des soins de qualité. Au sanatorium, elle voulait une meilleure prise en charge des pathologies respiratoires. À ce titre, elle était une passionnée.
D’un point de vue familial, puisqu’elle y accordait une grande importance, elle estime avoir réussi.
Ses trois enfants ont fait des études. Johane Philogène Nonez est médecin, cadre d’une ONG du pays, Jovanie Philogène est avocate, experte en droit international, membre des barreaux de Montréal et de New York, Joëlle Philogène Vivy a suivi les pas de sa mère, médecin, pneumologue et sous-spécialiste en pneumologie.
« Malgré ma sous-spécialité, il m’arrivait d’appeler ma mère pour solliciter son aide sur un cas », se souvient Joëlle Philogène Vivy.
le Dr Dorlette était bien plus qu’un pneumologue, elle était une militante dans toute l’acceptation professionnelle du terme.
Elle a monté aux fronts quand le sanatorium était à l’agonie après les ravages du tremblement de terre de 2010.
Chef d’orchestre de son état, son équipe n’a jamais baissé les bras jusqu’au redressement de cette institution sanitaire.
Elle est rentrée dans l’histoire comme Antigone, Mary Mcleod, Spartacus. Elle y est rentrée comme tous ceux et toutes celles qui savent dire non quand la force des choses leur assigne une place que refuserait leur humanité.
Certains la voyaient froide, dotée d’un caractère trempé dans l’acier. Cependant, au regard des éloges funèbres qui ont suivi sa disparition, il est à croire que la levée de corps a entraîné la tombée des masques, de son masque. Peut-être est-elle tout simplement sympathique. Juste une mère qui épousait trop tôt les durs combats de la vie ; et si son tempérament n’était qu’un bouclier pour les protéger elle et ses filles ? Et si elle avait compris, à l’instar du poète Antonio Machado, que, pour survivre en Haïti, il faut savoir tracer des chemins sur la mer ?
Et si elle était juste cette femme qui s’est sacrifiée pour donner quelques kilomètres de plus aux systèmes de soins dans la sphère publique à qui le pays n’a pas pris le temps de dire au revoir, et merci ? En avant, arche Dr Dorlette !

Claudy Junior Pierre
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