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Marc Fesneau : « J’invite les donneurs de leçons à aider les Français »

dimanche 29 mars 2020 par Charles

Invité du grand entretien politique, le ministre des Relations avec le Parlement appelle la classe politique à « s’inspirer des Français qui font bloc ». Propos recueillis par Olivier Pérou

Rue de Grenelle, c’est le vide qui résonne dans les couloirs du ministère des Relations avec le Parlement. Il y a bien ces quelques poules qui gloussent bruyamment dans le jardin, mais les bureaux ont été désertés, confinement oblige. Ne reste plus qu’une secrétaire, deux membres du cabinet et, bien sûr, le ministre Marc Fesneau pour faire tourner la machine parlementaire. Face à l’épidémie de Covid-19, Assemblée nationale et Sénat continuent de fonctionner. Ou plutôt, comme le dit le centriste du MoDem, l’Assemblée « e-fonctionne » avec ses commissions en visioconférence et toutes ces boucles de conversations sur Telegram qui regroupent députés de la majorité et de l’opposition. Mais ce système peut-il encore tenir dans une France quasi à l’arrêt ? Entretien avec un ministre confiné.
Le Point : L’Assemblée nationale travaille en service réduit. Cela peut-il durer encore longtemps ?

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Marc Fesneau : S’appliquent à l’Assemblée nationale et au Sénat les règles qui s’appliquent à tous les Français : distanciation physique et normes sanitaires. On fait fonctionner ce qu’il est nécessaire de faire fonctionner dans le moment que nous vivons. On s’assure de la continuité de la vie démocratique, et c’est important. Il y a des commissions et réunions qui se tiennent en visioconférence ou en audio. Les députés, les sénateurs et les fonctionnaires du Parlement travaillent sur les textes votés récemment et sur les éléments qui peuvent être remontés pour améliorer telle ou telle mesure. Ils continuent d’exercer leurs missions de contrôle et d’évaluation prévues par la Constitution. Nous avons par ailleurs créé une boucle d’information avec les groupes majoritaires et d’opposition pour répondre aux questions et sollicitations de chacun. J’ai le sentiment que cela fonctionne et est utile.
Les questions au gouvernement, ce rendez-vous politique hebdomadaire, ont-elles encore un intérêt « en temps de guerre », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron ?

Je crois qu’elles ont leur utilité justement parce qu’elles continuent d’être régulières, parce qu’elles sont le relais des inquiétudes et interrogations concrètes des Français et parce qu’elles permettent au gouvernement d’y apporter des réponses précises. Autrement, notre dialogue serait très invisible. La formule fonctionne dans un format inédit, mais elle fonctionne.
La France est bousculée comme rarement elle l’a été. Comment dirige-t-on un pays presque à l’arrêt ?
Il ne faut pas se méprendre : le pays n’est pas à l’arrêt. Beaucoup de citoyens continuent, tous les jours, de travailler pour assurer la continuité minimum d’une économie de guerre. Je pense notamment au personnel soignant, aux militaires, aux pompiers, aux gendarmes et aux policiers, au personnel de l’administration pénitentiaire, mais aussi, par exemple, aux salariés des commerces de première nécessité, à nos agriculteurs, aux professeurs, aux fonctionnaires, aux postiers, aux transporteurs. Nous avons besoin des Français, de tous les Français. C’est un pays qui est à la fois sous confinement et, en même temps, où chacun est à la tâche pour maintenir ce qui est essentiel à la vie d’un pays : se nourrir, avoir de l’électricité, de l’eau, des réseaux de communication, enseigner. On se rend compte que beaucoup de fonctions sont essentielles pour qu’il n’y ait pas de chaos. Et la situation n’est pas chaotique, malgré les difficultés inhérentes au moment.

La France n’est pas à l’arrêt, elle tient face à des difficultés qui sont immenses. L’ensemble des missions d’intérêt général est assuré. Nous sommes en gestion de crise et donc dans des temps extraordinaires, au premier sens du terme. C’est là que l’on voit la force de l’État et de la nation : on se tourne vers eux pour faire fonctionner tout l’écosystème dans ces temps-là.
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Les Français font preuve d’une extrême solidité et d’une grande solidarité.

Pourtant, quand on regarde toutes les mesures prises par le gouvernement, on remarque que cette crise s’attaque aussi aux dogmes du macronisme : la rigueur budgétaire, la liberté de se déplacer, il y a aussi le retour des égoïsmes nationaux, etc.
En démocratie, l’état de confinement est une période atypique, anormale, et qui n’est pas appelée à durer. Forcément, le moment que l’on vit heurte l’essence même du régime qui est le nôtre, d’où les précautions que nous avons voulu prendre pour ne pas remettre en cause nos fondements démocratiques. Les dispositions prises ne sont pas la norme. Il faudra tirer enseignement de la façon dont on a vécu ces privations de liberté.
Sur la question des égoïsmes, je suis en désaccord avec ce que l’on peut entendre, de même que sur la tentation du repli. Moi, je vois surtout beaucoup de solidarité entre les gens. Le pays s’est mis en ordre de marche solidaire. Cela n’exclut pas les comportements individuels, mais les exceptions ne constituent pas la règle. Je sais le dévouement de tant de gens qui ici aident des voisins, là font des courses, prennent des nouvelles des personnes isolées ou de ceux qui assurent la continuité des services essentiels… Tout cela forme une chaîne précieuse, remarquable, humaine.
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Alors que beaucoup appelaient à la réconciliation de la France ces dernières années, on voit en réalité qu’elle est très solidaire.
Oui ! De nombreux gestes qui paraissent parfois anodins font la solidarité quotidienne et comptent, avec ceux qui soignent et ceux qui assurent les services essentiels. Cette période de confinement réduit notre liberté d’aller et de venir pour une durée limitée et indispensable pour endiguer l’épidémie. Cela peut déconcerter. Je trouve que les Français font preuve d’une extrême solidité et d’une grande solidarité.
Il reste les populismes qui grandissent dans la séquence en reprenant leur mère des batailles : la fermeture des frontières.
Au fond, c’est un combat assez vain. On ne résiste pas ainsi à une pandémie mondiale inédite depuis la grippe espagnole de 1918. Les frontières, la remise en cause des institutions, de la parole des scientifiques sur certains médicaments… On voit que le populisme a envahi le champ même de la science avec des gens, y compris des responsables politiques, qui nous disent « il n’y a qu’à utiliser cela ». Tout ce qui a été au fondement de notre modèle est chahuté. C’est une brèche dans laquelle essaient de s’engouffrer les populismes. Les réseaux sociaux sont aussi un puissant accélérateur des vraies et fausses nouvelles. Je reçois moi-même des messages me conseillant tel ou tel médicament à prendre… Beaucoup se précipitent sur tout sujet qui donnerait le sentiment de trouver une solution au problème. Alors qu’il faudrait prendre le temps d’étudier ces pistes, nos sociétés démocratiques sont confrontées à une nécessité d’agir dans l’urgence. C’est là toute la difficulté.
Quand vous êtes dans la tranchée, la question n’est plus de savoir si on pense différemment ou pas.
Toutes les cartes sont rebattues, à commencer par nos priorités budgétaires. Prenons la santé qui, on le voit, ne peut plus être une variable. « Quoi qu’il en coûte », a d’ailleurs fait savoir le chef de l’État.
Le président de la République ne dit pas autre chose que ce qu’il a déjà pu dire par le passé : il veut une Europe puissante et qui protège, à la fois pour reconquérir des domaines stratégiques comme ceux des laboratoires pharmaceutiques et aussi pour ne pas être dépendants d’autres États. Le « Choose France », sa volonté affirmée de réindustrialiser le pays et tout ce qu’ont fait les ministres Jacqueline Gourault et Agnès Pannier-Runacher pour les territoires d’industries n’ont pas été poussés par le coronavirus, mais par le désir d’une indépendance à restaurer. Une indépendance d’autant plus nécessaire qu’est apparue une guerre commerciale entre certaines grandes puissances. Nous avions déjà posé des jalons. Le président n’a pas évoqué seulement la santé, il a dit qu’on ferait face à la crise, quoi qu’il en coûte. Jamais la France n’avait pris en charge le chômage partiel de cette façon. Seule l’Allemagne l’avait fait, ce qui lui avait permis d’amortir les effets de la grave crise économique de 2008. Il ne faut pas qu’en plus du malheur sanitaire s’ajoute un malheur social et économique.
Je ne fais de procès à personne, mais le refus de la fin du numerus clausus, par exemple, a conduit à la situation où nous sommes. Nous avions inversé la tendance dès avant la crise en relâchant la contrainte financière sur les dépenses de santé, en investissant davantage. Nous devons aller plus loin.
On a pu voir, au fil des jours, que l’union nationale n’apparaissait pas si évidente, y compris dans vos propres rangs. N’est-ce, au fond, qu’un mythe ?
Mythe ou réalité, peu importe. C’est une nécessité. Quand vous êtes dans la tranchée, la question n’est plus de savoir si on pense différemment ou pas. La question, c’est d’avoir les mêmes objectifs. Globalement, je vois plutôt cela à l’œuvre. L’immense majorité des Français, et c’est d’eux dont il faut s’inspirer, ne se pose pas la question des divisions politiques qu’ils avaient entre eux. Ils essaient de faire face, en bloc.
Mais, avec toutes ces polémiques et ces couacs de communication, trouvez-vous que la classe politique est digne ?
J’en suis, de la classe politique… Les Français jugeront. Parfois, certaines paroles publiques relèvent plus de l’accusation ou du commentaire que de l’action dont on a besoin. Même en situation de crise, certains continuent parfois de faire comme avant, les « yakafokon », les « il-fallait-que » et autres « si-on-m’avait-écouté » du moment manquent singulièrement d’humilité. Cette affaire n’est pas qu’une affaire française, mais une affaire mondiale. C’est une pandémie. Aux fêtes de Noël, si on vous avait dit ce qui allait arriver, que les rues seraient désertées, que la France serait confinée, vous nous auriez répondu d’arrêter de regarder les séries de fiction. J’invite donc volontiers les donneurs de leçons à aider la France et les Français, à faire preuve de lucidité en regardant ce qu’ils ont fait par le passé. Toutes ces réactions-là manquent d’humilité et même de décence. La politique ne quitte jamais ses droits. En revanche, que des responsables politiques soient dans l’action, l’apaisement, essaient de trouver des solutions, c’est ce que l’on est en droit d’attendre. Nous devons tous nous y astreindre.
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Après la crise, il y aura une grande nécessité de dépassement, encore plus largement qu’en 2017.
Crise ou pas, ne peut-on tout de même pas critiquer ou penser ?
C’est un tout autre sujet. Être lucide, vigilant, évaluer, contrôler, aucun problème ! C’est nécessaire. Mais dire « si j’avais été à sa place, j’aurais fait tellement mieux », je trouve que cela manque de dignité. Jeter le discrédit en permanence, cela n’aide pas les Français. Je n’ai aucun problème avec le temps de l’évaluation et de l’amélioration, mais ce n’est pas au moment où vous faites la guerre que vous dites « on aurait dû la faire comme ça ». Aujourd’hui, l’action collective doit primer.
Le gouvernement y laissera-t-il des plumes ?
Mon sujet n’est pas de savoir si notre gouvernement sera plus populaire ou pas. Ce n’est vraiment pas notre sujet. Là aussi, faisons preuve d’humilité. Nous sommes concentrés, au milieu de la crise. Est-ce que les sociétés vont être questionnées dans leur fonctionnement sociétal, économique, sur la solidarité entre États ? Oui, bien sûr. Il faudra en tirer les leçons. À la sortie, ce serait une erreur collective de ne pas s’interroger.
À chaque lendemain de guerre, son gouvernement d’union nationale ? Y aura-t-on droit après celle-ci ?
Dans le monde entier, il y a un débat : ne faut-il pas rassembler ceux qui voudront reconstruire ? Il y aura un besoin de mobiliser toutes nos forces pour reconstruire ce qui aura été détruit. L’exigence du moment est de permettre à tous les Français de s’en sortir, d’abord sanitairement, puis socialement, économiquement, moralement… Il faudra s’interroger, y compris sur nos fonctionnements politiques et les polémiques politiciennes. Ceux qui critiquent sont souvent dans les mêmes schémas qu’avant. Ils réclament le changement de tout, sauf de leurs propres comportements. Qu’on se mette autour de la table avec le moins d’arrière-pensées possible – soyons réalistes. Si cette prise de conscience n’est pas faite au niveau politique, on fera défaut à quelque chose. Et il y aura une grande nécessité de dépassement, encore plus largement qu’en 2017.
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