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Le syndrome de Greta

jeudi 31 décembre 2020 par Charles

CHRONIQUE / Dans la mythologie grecque, Cassandre, fille de Priam et d’Hécube, a reçu d’Apollon le don de la prophétie. Autrement dit, elle pouvait voir l’avenir. Cependant, le dieu regretta bientôt sa décision, mais ne pouvant lui retirer son don, il jeta alors sur elle une malédiction : personne ne croirait jamais les prédictions de Cassandre. Durant la guerre de Troie, par exemple, elle tenta à de nombreuses reprises de prévenir les Troyens du danger qui les guettait, notamment lors du fameux épisode du cheval de Troie, mais ils ne voulurent pas l’écouter – avec le résultat qu’on connaît.

On parle ainsi du syndrome de Cassandre pour désigner les situations où l’on ne croit pas ou ignore des avertissements ou des préoccupations légitimes. Pour la personne qui en est atteinte, c’est une véritable malédiction, car en plus de devoir subir l’humiliation et les moqueries (nous y reviendrons), elle est généralement condamnée à assister, impuissante, au malheur qu’elle avait prédit.

Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, en lisant cette histoire, je n’ai pu m’empêcher de penser aux scientifiques et aux écologistes qui ne cessent de nous mettre en garde contre les changements climatiques. Et plus particulièrement, j’ai pensé à la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, qui est en quelque sorte devenue le symbole d’une génération. À titre de jeune porte-parole du mouvement écologiste, en effet, elle s’est donnée pour rôle d’éveiller les consciences afin de nous faire prendre conscience des risques de l’inaction climatique et de nos responsabilités à l’égard des générations futures. Mais l’écouterons-nous ? Serons-nous capables d’entendre son message ?

Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, si j’ai pensé à Greta Thunberg en lisant l’histoire de Cassandre, c’est que les ressemblances sont frappantes, pour ne pas dire troublantes. Depuis qu’elle a endossé le rôle de porte-parole du mouvement écologiste, la jeune militante ne cesse elle aussi d’être moquée et critiquée par ses détracteurs. Les gens ne veulent pas la croire, et ce, pour toutes sortes de raison. Certains lui reprochent son jeune âge, d’autres vont même jusqu’à la traiter de « petite mongole », en référence au fait qu’elle est atteinte du trouble du spectre de l’autisme. Tous les moyens semblent bons pour tenter de la discréditer. Et surtout, de ne pas l’écouter.

Mais pourquoi les gens refusent-ils obstinément d’écouter Greta Thunberg ? Parce qu’elle est jeune ? Parce qu’elle est autiste ? Cela pèse certainement dans la balance, mais plus fondamentalement encore, je crois que s’ils refusent de l’écouter, c’est parce qu’elle nous dit des choses que nous ne voulons pas entendre. Elle nous dit que si nous souhaitons offrir un avenir radieux à nos enfants et nos petits-enfants, nous devrons faire des sacrifices. Elle nous rappelle aussi que nous n’avançons actuellement pas dans la bonne direction. En somme, elle nous renvoie à nos responsabilités individuelles et collectives, ce qui n’est évidemment pas facile à entendre et à accepter.

À ce point-ci, les parallèles avec le syndrome de Cassandre apparaissent encore plus évidents. Aux yeux du grand public, Greta Thunberg est ni plus ni moins perçue comme une prophétesse de malheur, donc comme une casse-pieds et une indésirable. Pourtant, il faudra bien tôt ou tard (et plus tôt que tard, si l’on en croit les prévisions des experts du climat) regarder la réalité en face et assumer nos responsabilités. Nous ne pourrons pas éternellement « vivre à crédit » sur cette planète. La crise climatique qui nous pend actuellement au bout du nez représente la fin de l’innocence.

***

En terminant, permettez-moi une légère digression pour souligner la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine. À bien des égards, son entrée à la Maison-Blanche constituera selon moi une avancée pour le peuple américain, mais aussi pour nous tous. Entre autres choses, saluons la volonté du président désignée de prendre la pandémie de COVID-19 un peu plus au sérieux que son prédécesseur, mais aussi son engagement à rejoindre l’accord de Paris sur le climat. Gageons que Greta Thunberg et la communauté scientifique voient aussi cela d’un bon oeil.


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