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Robert Malval : gangue et gangs

mardi 16 novembre 2021 par Charles Sterlin

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Il est vrai que notre pays est malade depuis des lustres. Néanmoins Jovenel Moïse nous a légué un Etat moribond. Le docteur Henry le laissera-t-il mourir ? Faut-il faire appel à d’autres praticiens pour le seconder ou le remplacer à son chevet ? Pauvre Haïti ! Nous sommes nombreux à le dire et tous à le penser. Comment débarrasser l’ancienne perle des Antilles de la gangue de l’improbité dans les affaires publiques, de l’impunité face à la corruption, de l’impuissance de l’Etat, de l’impéritie administrative, de l’imposture et de la mal-gouvernance qui l’enveloppe ? Devant la carence des pouvoirs qui se sont succédé depuis plus de soixante ans (y compris le mien), nous sommes tentés de rappeler l’apostrophe célèbre à adresser à tous les dirigeants : Sire, je vous pardonnerais de mal gouverner, si toutefois vous gouverniez. Dans le grand livre des comptes, le passif est lourd et la confiance difficile à replâtrer dans les ténèbres menaçantes où vit la population. Jamais l’avenir n’a paru aussi sombre.

Tous les secteurs de la vie nationale témoignent d’un mécontentement extrême. Le bras du gouvernement ne s’est jamais fait sentir. La solution pour l’immense majorité se résume à des alternatives affligeantes. Pour les masses miséreuses la mer ou la mort. Pour la petite-bourgeoisie et les classes moyennes, se résigner au désabusement et s’en aller ou faire face avec toute la vigueur d’un patriotisme hissé au-dessus des intérêts particuliers. Vu sous cette optique, l’accord dit de Montana autorise l’espoir de voir les fleurs de l’été porter des fruits dans un avenir proche. Pour les élites bourgeoises, s’expatrier ou se réveiller d’une longue sieste historique et renoncer à l’illusion que le Haïti de papa aura encore de beaux jours devant lui. Alors seulement auront-elles le droit citoyen de jouer leur partition dans la symphonie du renouveau et de la fondation d’un État moderne.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation surréaliste. L’effacement du pouvoir livre la cité aux gangs où un de ses chefs se pose en tribun éloquent et capte à son profit le discours populiste, écrit par un idéologue attardé qui a sans doute trempé sa plume dans du vinaigre. Jimmy Chérisier, pour le nommer, se dresse avec des mots de sang en défenseur des aspirations populaires légitimes car il est facile d’exalter les ventres vides par des harangues effrénées. Mais le peuple s’est déshabitué de ces promesses de terre promise par des démagogues qui, une fois au sommet de la pyramide, composent avec ceux qui étaient l’objet de leur fureur. Ces meneurs ne se sont jamais vraiment insurgés contre le système mais contre l’inégalité qu’il génère, et leur combat cesse dès que leurs rancunes, longtemps nourries par le ressentiment, sont rassasiées.

Une déclaration surprenante de Chérisier, alias Barbecue, a fait la une. Interrogé sur sa détermination à effectuer un raid contre le complexe industriel et commercial Shodecosa, il nia avec véhémence en ajoutant qu’il se ferait tuer s’il devait entreprendre un tel coup de main. On devine la peur du grand fauve qui réserve aux moins puissants ses humeurs belliqueuses. Cela dit, le chef du G9 devra, dans sa marche qu’il veut triomphale, se rappeler que les hommes et femmes qu’il souhaite entrainer dans sa croisade portent depuis trop longtemps, dans leur inconscient collectif, l’empreinte des espérances déçues pour le suivre aveuglément. Les vrais réformateurs n’ont jamais été des populistes, encore moins des terroristes.

Un autre problème pour lui : l’incurable méfiance qui constitue le soubassement de notre culture nationale. Pour cette raison, toute coalition mafieuse finit par se délier tant l’égo, la jalousie, la cupidité, placent les chefs dans des postures de rivalité. Leurs prétentions et leurs ambitions finissent par s’antagoniser. On est en droit de soupçonner que le chef du groupe 400 Mawozo, appréciant peu le rôle de vedette nationale et même internationale de Jimmy Chérisier, et s’aigrissant de sa notoriété, a voulu se distinguer par un grand coup en kidnappant les missionnaires étrangers. Inévitablement, les fanfaronnades provocatrices et les luttes d’influence finiront par exacerber l’hostilité entre les différents groupes et empêcheront de conjuguer leurs efforts.

Grâce aux réseaux sociaux et, il faut le dire, à son charisme, Chérisier a émergé comme la figure saillante sur l’échiquier politico-mafieux. Comment utiliser cette force pour se projeter dans les arcanes du pouvoir, car on ne peut changer le plomb (dans son double sens) en or sans une alchimie du verbe, selon le mot de Rimbaud ? D’une part, il ne peut laisser ses troupes se refroidir, il doit d’autre part assurer l’apaisement. Equation difficile pour un homme dont le tempérament de tribun le porte toujours à la véhémence oratoire tandis que son ambition de jouer un rôle national l’oblige à la conciliation. Le G9 ne risque-t-il pas de sortir ébranlé de cette opposition entre l’outrance des mots et la modération nouvelle qu’il claironne ? A-t-il pris conscience que la prise en otage du pays lassait l’opinion et desservait la strate la plus défavorisée dans laquelle il tente de puiser sa clientèle ? Ou, plus vraisemblablement, ses « guides » lui ont-ils tracé les limites de son action ? Les prochains jours le diront.

En attendant, depuis sa déclaration en 9 points du 12 novembre qui est une manière de se donner un certificat de civisme et même de patriotisme, il est condamné à trouver un moyen de faire taire les indignations que ses actions violentes passées ont suscitées. Il y aura certes nombre de politiciens assez complaisants pour le rallier car en Haïti la réprobation n’a pas un caractère éternel. Il n’en reste pas moins que beaucoup de ses victimes ne sauront ni oublier ni pardonner. Il lui faudra plus de persuasion et moins d’invectives, car comme l’a dit Talleyrand, tout ce qui est exagéré est insignifiant. En voulant tout démolir, on finit par se démolir soi-même.


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