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Non, les États-Unis n’ont pas essayé de renverser le président Jean-Bertrand Aristide en Haïti. Opinion de James B. Foley

jeudi 26 mai 2022 par Charles Sterlin

Le récent reportage exceptionnel du New York Times sur la cruelle indemnité imposée par la France à Haïti, nouvellement indépendant, au début du 19e siècle, et son impact profondément dommageable sur le pays appauvri jusqu’à ce jour, a malheureusement été entaché d’une grossière déformation de l’histoire récente.

En particulier, l’affirmation selon laquelle les États-Unis ont collaboré avec la France pour monter un coup d’État contre le président démocratiquement élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, affirmation faite par d’anciens fonctionnaires français, est fausse.

Il est vrai qu’en tant qu’ambassadeur des États-Unis, j’ai consulté mes principaux homologues internationaux en Haïti, y compris les Français, dans le cadre de l’effort diplomatique que j’ai mené pour forger un compromis entre les protagonistes politiques et empêcher la détérioration de la situation de s’effondrer complètement.

La responsabilité d’Aristide et de ses associés dans l’emploi des gangs de rue criminels pour intimider et terroriser les opposants politiques était, dans ce contexte, un sujet de préoccupation aigu pour les États-Unis et leurs partenaires internationaux.

La politique américaine n’a jamais consisté à rechercher ou à soutenir l’éviction d’Aristide, que nous avons reconnu comme le dirigeant dûment élu du pays. Nos négociations étaient centrées sur les réformes de gouvernance et l’achèvement du mandat d’Aristide. C’était d’ailleurs un point de friction majeur entre la France et les États-Unis.
Je n’ai pas manqué d’être réprimandé par des responsables français - y compris par le philosophe-envoyé Régis Debray lors de sa visite marquante à Port-au-Prince en décembre 2003 - pour ce qu’ils considéraient comme une politique américaine de soutien à un dictateur enclin à la violence. C’était également l’opinion quasi unanime des partis politiques d’opposition haïtiens et du large groupe d’organisations de la société civile contre Aristide.

Pendant de nombreux mois, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour parvenir à une résolution négociée de l’impasse politique et pour sauver la présidence d’Aristide jusqu’à ce que, dans les derniers jours tumultueux de la fin février 2004, je me consacre d’urgence à empêcher les rebelles sans foi ni loi de prendre le pouvoir et, finalement, à sauver la vie d’Aristide, alors que la capitale sombrait dans l’anarchie.

Je ne peux expliquer ces récentes affirmations françaises non factuelles de la complicité des États-Unis dans l’éviction d’Aristide que comme un reflet de ce que la France elle-même désirait et a pu être. La série m’a appris plus que ce que j’avais compris à l’époque sur la profondeur de l’animosité de la France envers Aristide et son désir de le voir partir.

Il semble raisonnable aujourd’hui de spéculer sur les liens potentiels avec la rébellion qui a chassé Aristide du pouvoir, mais cet épisode reste entouré de mystère. Je peux également imaginer que les Français, qui n’étaient pas au courant de nos efforts intensifs pour déjouer les parties anarchiques en conflit ou des circonstances dans lesquelles Aristide m’a demandé un sauvetage par les États-Unis, doivent supposer que les États-Unis ont eux-mêmes cyniquement organisé le résultat qu’ils recherchaient depuis le début.

L’ambassadeur français et Debray - lors d’une visite ultérieure en Haïti - m’ont reproché avec véhémence de ne pas avoir consulté les Français au cours des derniers jours de la crise et,en particulier, en ce qui concerne le départ d’Aristide. Encore une fois, ils ne savaient rien des discussions intensives que j’ai eues avec Aristide, à sa demande, dans la nuit avant que nous n’acceptions de dépêcher un avion pour le mettre en sécurité.

Il est vrai, comme le rapporte le Times, que les Français sont intervenus une fois que l’avion a quitté l’espace aérien haïtien. À notre grande surprise, Aristide avait choisi l’Afrique du Sud comme destination, mais le secrétaire d’État américain Colin Powell n’a joint le président sud-africain pour lui transmettre sa demande qu’après le décollage de l’avion de Port-au-Prince, et il a essuyé une rebuffade inattendue. (L’Afrique du Sud a dit oui, mais devait retarder la réception d’Aristide de quelques semaines). Je crois savoir que Powell a alors contacté les Français, dans l’espoir qu’ils puissent trouver un exil temporaire pour l’ancien président quelque part en Afrique.

Il est à noter qu’aucune preuve n’a été présentée à l’appui d’une telle affirmation historiquement conséquente ; en effet, il n’y en a aucune. Les archives ne contiendront aucune note de décision ni un compte-rendu de réunion des États-Unis dans lequel une politique ou un plan est approuvé à un moment quelconque pour s’associer à la France afin de renverser Aristide, sans parler d’une quelconque instruction qui m’aurait été donnée de mettre en œuvre un plan aussi important. Je l’aurais confirmé avec insistance si j’en avais eu l’occasion avant la publication en ligne de la série.

Au cours des presque 20 ans qui se sont écoulés depuis ces événements, aucun responsable du gouvernement américain de l’époque ne s’est avancé pour avouer ou admettre la complicité des États-Unis dans la chute du pouvoir d’Aristide. Il n’y a jamais eu la moindre fuite à cet effet - ce qui, si l’allégation était vraie, serait extraordinaire à Washington, D.C. Des dommages ont été causés aux archives historiques - et à la réputation de divers responsables américains qui ont maintenu la vérité sur la politique et les actions des États-Unis en Haïti en 2003-2004.

James B. Foley a été ambassadeur des États-Unis en République d’Haïti du 27 mai 2003 au 14 août 2005.

Paru dans Miami Herald


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