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Points forts et points faibles de ce budget national générateur de crise

mercredi 20 septembre 2017

Le budget national n’a jamais occupé une place aussi importante dans l’opinion publique. Il n’a jamais suscité autant de débats. Il n’a jamais été aussi controversé. On est passé d’une société qui s’en foutait totalement du budget dans les années passées à une société où tout le monde devient « expert du budget ». Réflexion. Position.

National -

Positionnement. Interprétation. Vérité. Mensonge. Exploitation abusive. Manipulation. La confusion est totale. Le budget, qui devrait être un outil de gouvernance politique et économique est devenu un déclencheur de crise. Un objet d’accélération des rivalités et de la polarisation. Une arme légitime pour les opposants politiques. Une charge sur le dos du gouvernement qui a prouvé clairement son incapacité à communiquer, à convaincre sur le budget mais surtout à obtenir la confiance des citoyens.
C’est une bonne occasion de faire ressortir les points positifs et les points négatifs du budget. Commençons avec les points positifs. D’abord, c’est assez ambitieux pour le gouvernement de prévoir plus de 93 milliards de gourdes de recettes domestiques (soit 64,81% du budget), ce qui rentre dans une logique de réduction de la dépendance vis-à-vis des dons de l’international qui ne représentent aujourd’hui que 16,65% du budget total alors que les autres 18,54% des ressources seront apportées par le financement interne. Autre point positif, c’est l’augmentation de 43% de l’enveloppe du ministère de l’Agriculture par rapport à l’exercice 2016-2017 pour un montant de 10,01 milliards de gourdes contre 7 milliards de gourdes. Ce qui fait passer la part du budget allouée à l’agriculture de 5,7% à 6,9%. Une évolution qui devrait aider à booster ce secteur en panne de croissance depuis l’ouragan Matthew. Le ministère de l’Éducation nationale, de son côté, a obtenu près de 2 milliards de gourdes supplémentaires dans ce nouveau budget, mais a vu toutefois son poids dans l’enveloppe totale réduit, passant de 17,4% à 15.9%.
Un autre point à souligner comme positif est la suppression du financement monétaire de la BRH comme source de revenus notamment pour le financement du déficit, ce qui devrait aider à contenir l’inflation d’origine monétaire.
Il est à noter que l’ajustement des taxes relatives à l’impôt locatif (CFPB) dénote la volonté de mieux financer les administrations communales et, si le suivi est bien structuré, cela permettrait de réduire la volatilité du loyer ou des coûts d’acquisition de logements.
Enfin, il faut mentionner l’exonération des droits de douane pour les produits relatifs à la production d’énergie alternative comme lampes et les panneaux solaires qui peuvent être importés désormais à 0% de droits de douane. Toutefois, il faut reconnaître que ces propositions de révision de tarifs devraient être inscrites dans un projet séparé pour être débattues et votées au Parlement.
Voyons maintenant les aspects négatifs, les erreurs ou les irritants du budget.
Notre plus grand inconfort est au niveau du financement interne du budget. D’abord, comment un gouvernement qui, déjà, doit payer 14 milliards de gourdes d’intérêt et d’amortissement sur les dettes antérieures, soit 10% du budget, peut faire de nouvelles dettes une source aussi importante de ressources soit 26,73 milliards de gourdes ? Ensuite, les mécanismes de mobilisation de ces ressources à travers de nouveaux produits financiers (fonds de la diaspora, fonds de syndications,…) ne sont pas clairs. En plus, il n’y a aucune garantie que les institutions commerciales privées (les banques) et publiques (ONA, BNC,…) visées par ces produits financiers seront en mesure et voudront acheter réellement des bons, quand nous savons tous que le Trésor public n’est ni crédible, ni bon payeur sur le marché financier. Ce qui nous pousse à questionner la sincérité du budget mais aussi à émettre des doutes sur la capacité du gouvernement à mobiliser effectivement ces ressources.
Il est à noter que le gouvernement prévoit une augmentation des recettes totales de 31% tandis que l’impôt direct devrait croître de 9.7% beaucoup moins vite que l’impôt indirect (hors recettes pétrolières) qui est de 14.7%. Il est connu que l’impôt indirect affecte beaucoup plus les revenus des plus pauvres.
Un autre irritant, c’est l’augmentation de 84% du budget du Parlement en seulement un an pour passer 3,9 milliards à 7,19 milliards de gourdes, soit désormais 5% de l’enveloppe totale. Toujours, en termes d’allocation des crédits budgétaires, il faut signaler aussi que la part du ministère de la Santé publique a diminué pour passer de 4,5% à 4,35% alors que la moyenne en Amérique latine et dans les Caraïbes est au-dessus de 13%. À l’exception de l’année 2012, où le budget de la santé représentait 3,4%, jamais la part de la santé n’a été aussi faible sur les 17 dernières années.
D’un autre côté, les modifications apportées au niveau de certains droits et taxes ont eu un effet de bombe et ont créé une situation de frustration, de confusion, de méfiance mais surtout de révolte.
Comme d’habitude, le ministère de l’Economie et des Finances a commis l’erreur de ne pas élaborer des projets de lois spécifiques et séparés concernant l’impôt sur le revenu ou le CFPB, ce qui éviterait d’empoisonner le budget avec ces changements sensibles. C’est tout à fait normal que l’impôt locatif crée des confusions et des remous car l’article 9 de la loi de finances n’avait pas précisé si la taxe s’applique sur la valeur marchande (vénale) ou sur la valeur locative. C’est tout à fait logique que la déclaration définitive d’impôt crée autant de frustrations car les gens qui ne travaillent pas n’ont pas été clairement exclus des groupes imposables. C’est tout à fait normal que la modification des droits de passeport, de permis de conduire et d’immatriculation fiscale soit aussi critiquée, car il s’agit de droits très sensibles qui sont liés beaucoup plus à l’identité de la personne.
Plus loin, dans un contexte marqué par le ralentissement économique depuis les crises électorales de 2015, accentué par le cyclone Matthew, alimenté par les crises de salaires, d’ajustement des prix du carburant, il ne fallait surtout pas mettre même une gourde supplémentaire sur ces droits même si les coûts de production de passeport ou de permis le justifient. Mais aussi, politiquement, en début de mandat, le président, après être sorti d’une longue élection à très faible taux de participation, aurait besoin de renforcer sa popularité, sa légitimité et non les fragiliser.
C’est une erreur aussi de provoquer une crise juste pour faire de faibles gains de revenus sur les modifications des droits de passeport et de permis de conduire qui doivent être simplement autour de 1,3 milliard de gourdes, soit moins que 1% du budget, alors qu’on pourrait renforcer le contrôle des douanes et de l’inspection fiscale pour réduire les manques à gagner estimés annuellement à plusieurs dizaines de milliards de gourdes. Seulement sur la frontière, selon les estimations, l’Etat perd plus de 20 milliards de gourdes par an.
Il est temps pour nous d’arriver à un budget programme, un budget révolutionnaire, un budget qui soit au service des collectivités, et non un budget qui réduise les crédits d’investissements pour la Grand’Anse et les Nippes après les dégâts d’un cyclone aussi dévastateur. Il est temps d’arriver à une gouvernance économique et financière plus intelligente, plus stable et plus inclusive pour le bien de tous.

Etzer Emile Economiste etzeremile@gmail.com
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