MosaikHub Magazine
Fournisseurs privés/Energie électrique

« La Sogener vend de l’électricité, non du black-out », dixit Dimitri Vorbe

vendredi 29 mars 2019 par Charles

National -

Dimitri Vorbe est vice-président et directeur exécutif de la Sogener, le plus grand fournisseur privé d’énergie électrique de l’État haïtien à Port-au-Prince. Quand la capitale est dans le noir, comme ces derniers jours, les regards sont tournés particulièrement vers sa compagnie qui souvent est l’objet de vives critiques, notamment de la part des gens proches du pouvoir. Lors d’une visite guidée de Le Nouvelliste cette semaine à la Sogener, l’homme d’affaires explique ses relations avec l’État haïtien, son mode de facturation.
« Je facture l’ED’H par kilowatt-heure produit… », a soutenu Dimitri Vorbe. Sa compagnie peut produire jusqu’à 50 mégawatts. Mais à cause des raretés répétées dans la livraison du diesel indispensable au fonctionnement des trois centrales électriques de la Sogener, sa production chute considérablement.
En temps normal, Péligre produit environ 50 mégawatts d’électricité. Aujourd’hui, à cause de la sécheresse, c’est à peine s’il fournit 10 mégawatts sur le réseau de l’ED’H. La Sogener ne fournit que 30 mégawatts ces derniers jours. C’est ce qui expliquerait le rationnement électrique constaté dans l’aire métropolitaine, selon les explications de Dimitri Vorbe qui a révélé que pour fournir l’électricité 24 sur 24 dans l’aire métropolitaine, il faut 300 mégawatts alors que les deux seuls fournisseurs privés de l’ED’H ne produisent que 80 mégawatts quand tout va bien.
Dimitri Vorbe a fait savoir que la Sogener fonctionne à la demande de l’ED’H. Autrement dit, en fonction des demandes de l’ED’H, sa compagnie produit de l’électricité. Certaines fois, l’ED’H lui demande d’augmenter ou de diminuer sa production. « La facturation de la Sogener dépend aussi du nombre de mégawatts mis sur le réseau de l’ED’H », a affirmé le patron de la Sogener. Pour le mois de février, la facturation de la Sogener s’élève à 5.1 millions de dollars, a-t-il dévoilé.
Comment être certain que la Sogener fournit à l’ED’H le nombre exact de mégawatts pour lequel elle est payée ? À cette question du Nouvelliste, Dimitri Vorbe a tenu à faire visiter au Nouvelliste les compteurs contrôlables à distance qui ont été installés dans son entreprise par la Banque mondiale. « Chaque mois avant la facturation, un employé de l’ED’H, un employé de la Sogener et un juge de paix vérifient les cinq compteurs installés dans une salle appartenant à l’ED’H, a-t-il expliqué. Nous n’avons pas d’accès à ces compteurs », a-t-il précisé.
Dans le cadre d’un appel d’offres lancé en 2005 sous le gouvernement de Gérard Latortue lors de la transition, l’offre de la Sogener a été retenue, a-t-il rappelé, soulignant que ce contrat avait été signé par le ministre des Finances d’alors, Henry Bazin ; Fritz Adrien, ministre des Travaux publics à l’époque et approuvé par la Cour des comptes. Dimitri Vorbe dément avoir remporté l’appel d’offres sur la base de son amitié avec l’ancien président René Préval qui n’était pas encore Chef d’État au moment de la signature du contrat, a-t-il fait remarquer.
Après l’échéance de ce contrat de 14 ans, la Sogener passera dans le patrimoine de l’État haïtien, selon l’une des clauses du contrat. « Nous avons dans la centrale de Varreux I quatre moteurs. Deux moteurs de 2.5 mégawatts chacun et deux moteurs de 5 mégawatts. À Varreux II, nous avons trois moteurs de 3 mégawatts chacun et à Varreux III, il y a une vingtaine de moteurs de 1.2 mégawatt, un tank de mazout et un tank de diesel…Tous ces investissements appartiendront à l’État haïtien et en condition de fonctionnement », a-t-il indiqué. Le contrat qui lie la Sogener à l’État arrivera à expiration en 2023, selon Dimitri Vorbe.
L’homme d’affaires a fait savoir qu’il y a une lettre de garantie d’environ cinq à six millions de dollars qui protège son investissement. Toutefois, a-t-il souligné, « la Sogener n’a encore cash aucune lettre de garantie depuis qu’elle fonctionne. Pas parce que l’État est régulier dans son paiement… »
Dimitri Vorbe a affirmé que la Sogener devait environ 191 millions de dollars au BMPAD. Pour permettre à son entreprise de continuer à fonctionner, l’État lui vend du diesel à crédit. L’ED’H, a-t-il ajouté, doit aussi environ 192 millions de dollars à la Sogener.
Selon lui, 60 à 70 % des recettes de sa compagnie sont utilisées dans l’achat du diesel pour faire fonctionner ses moteurs. Ses centrales électriques consomment pas moins de 50 000 gallons de diesel et près de 20 gallons de mazout par jour. Ce qui fait, a-t-il dit, 1.5 million gallons de diesel chaque mois pour produire entre 40 et 50 mégawatts d’électricité. « Les prêts bancaires de la Sogener représentent environ 10% de sa facturation », a-t-il ajouté.
Alors que l’administration de Jovenel Moïse fait de l’énergie l’une de ses priorités tout en claironnant son désir de revoir les contrats des fournisseurs privés d’électricité, Dimitri Vorbe a indiqué que sa dernière rencontre avec les autorités haïtiennes remontait à la présidence de Michel Martelly en 2015. « On nous a demandé des propositions pour faire baisser le prix du kilowatt-heure. On avait fait certaines propositions en ce sens », a-t-il dit, soulignant que depuis, il n’y a eu aucun suivi ni aucune autre rencontre du genre avec la Sogener.
Le gaz naturel est l’avenir de l’électricité en Haïti, selon Dimitri Vorbe
Le président Jovenel Moïse, qui a promis de l’électricité 24 sur 24 partout en Haïti, veut aussi changer la matrice énergétique du pays en priorisant maintenant les énergies renouvelables. Pour Dimitri Vorbe, le gaz naturel est l’avenir de l’énergie électrique en Haïti.
Apparemment, les énergies éoliennes et solaires ne convainquent pas trop l’homme d’affaires. Il a souligné que l’énergie solaire n’est pas fiable et sa variation peut déclencher le réseau. La République dominicaine dispose de quatre mille mégawatts installés, 95% de cette production est thermique avec le mazout et le gaz naturel, a-t-il avancé pour conforter sa position. Le patron de Sogener a cité aussi la production d’électricité des Etats-Unis. « Comme nous n’avons pas beaucoup d’argent, nous devons faire des choix intelligents », a soutenu Dimitri Vorbe.
Au-delà des explications, la réalité aujourd’hui est que la capitale et les zones avoisinantes sont plongées dans le noir depuis plusieurs mois. Les zones les plus chanceuses reçoivent deux à trois heures d’électricité parfois.

Robenson Geffrard
Auteur


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie